LES TEMPS DE LA CONJUGAISON... | ||
Ducruet.
©. 2007. |
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Passé, présent, futur... Nous conjuguons à profusion. Aller de la naissance à la mort nous rend alertes. Nous ne sommes pas des bêtes parce que nous avons conscience de nos déplacements dans le temps et que nous sommes fort occupés à nous poser des questions sur ces voyages. Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Beaucoup se réfugient dans le passé, y retournent autant qu'ils peuvent pour s'y équiper de principes, de connaissances et d'émotions qui leur rendent la vie supportable... C'est qu'ils sont encore subjugués par le jour qu'ils n'attendaient guère, celui du passage par la fameuse ouverture que maman cachait aux indiscrets, quand ils durent se passer du confort thermique et oléo-pneumatique des neufs mois antérieurs... Mis bas sur une table étrange et soumis à d'étranges manipulations, forcés de se noyer dans l'air à pleins poumons, saisis de froid, un moment bleus et poussant des cris pour la première fois, secoués, fessés et complimentés, puis nettoyés de la tête aux pieds par des mains inconnues, rangés dans une pouponnière, éclairés à l'électricité, conscients de tout mais sans savoir de quoi, ils plongent dans l'inquiétude et la perplexité, éjectés sans tambours ni trompettes de leur premier domicile connu. Le passé se conjugue à six temps : imparfait, simple, composé, surcomposé, plus-que- parfait et antérieur... Voilà qui ne trompe pas : il est difficile à saisir et on risque de s'y perdre comme en sables mouvants... Malheur à ceux qui en rêvent jour et nuit, se racontent trop d'histoires et passent le temps la tête tournée, n'offrant d'amour qu'aux fantômes et ne craignant que de vieux orages... Ils foncent les fesses en avant dans un monde ingrat. | ||
Ducruet.
©. 2007. |
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Le futur se conjugue plus facilement, n'étant que simple ou antérieur. C'est qu'il n'y a pas besoin de trop de cervelle pour se jeter à corps perdu sur le lendemain. Voyez un peu comme nous nous sommes débarrassés de nos millénaires et de nos sagesses pour exterminer d'autres enfants de Dieu, occire les abeilles, encrasser les rivières, chauffer la Terre et accélérer l'extinction de mille sortes de vivants... Adieu baleines qui servirent aux parapluies, aux lampes d'auberges et boîtes de corned-beef... La liste de nos déluges n'est pas près de finir : de toutes les aventures, la plus fascinante fut évidemment celle de Noé, car cette fois nous fûmes plus près de Dieu que de nous-mêmes et puisque ayant frisé l'extinction de nos ovules nous en sortîmes avec les honneurs... De là vient que les imbéciles croient au pardon universel, à la deuxième chance et autres balivernes pour les étourdis. Nous devrions remplacer le futur de l'indicatif par l'usage plus fréquent du conditionnel. Mais il faut que la jeunesse coure, que les génitoires se vident et que le grand singe à peau lisse puisse taper du poing sur ses tables à chaque génération... Le futur pour les inconscients ne peut être que celui du plaisir et de l'exploit... Sortir d'un ventre de mère n'est ni glorieux ni rassurant. Les furieux voudraient avoir des ailes et des lendemains qui chantent, car naître c'est choir dans une flaque d'eau et de sang en compagnie douteuse et dans un concert d'applaudissements... L'imprudence ne mène qu'au pire, mais disent les sirènes : c'est déjà mieux que rien... | ||
Ducruet.
©. 2007. |
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Les roses sont plus adroites que les hommes. Elles ont cultivé leur jardin sans révoltes ni pillages. Quelques épines suffirent à leur peine, les protégeant des mauvaises langues et des coups de main intempestifs. Elles conjuguent au présent la bonne saison. Ces reines du plaisir sont pourtant de vieilles connaissances. Elles étaient là du temps des dinosaures et se pavanaient au soleil ou dans les forêts quand n'y bruissaient que des insectes à carapaces tordues et pattes démesurées... Elles ont connu plus de passages de lune que nous n'inventerons de chansons... Elles n'ont pas d'envies et ne sont guère jalouses. La comparaison se fait toujours à leur avantage. Elles se moquent du bien et du mal, se laissent cueillir et déposer sur les tombes des maffieux comme des enfants sages. Quelle dame sous le nombril ne voudrait être une rose et battre aussi des paupières fines comme des pétales... Ne dites pas aux roses qu'elles sont belles comme des humaines, elles ne vous écouteront pas. Mais d'une marchande de sardines vous ferez une vierge de Raphaël en offrant le bouquet de vos rêves... Car , voyez-vous, si le présent consiste à s'occuper de tendresse, à ne plus chercher toutes les aiguilles dans le foin du passé ni courir après le soleil du lendemain, vous risquez d'être heureux et de vous voir sourire dans les yeux de vos roses... | ||