LES MAITRES DU MONDE .... (Docu 11)
     
     
masque blanc. white mask. photo michel ducruet
 
Ducruet.©. 2005. Homme Blanc.
 
     

................................ Il neigeait dans la cour. Maximilien s'était penché, regardait sans voir les flocons se dissoudre sur les pavés. Il se tourna vers le Philippe de Champaigne qu'une lumière grise éclairait de nulle part en donnant du relief aux bleus et aux verts... Bôzes n'avait pas encore vu ce tableau en lumière du jour sous la neige, il était lui aussi très étonné de ce qu'il voyait. On aurait pu croire qu'ils posaient tous les deux pour l'éternité, comme si le tableau les tenait par des fils invisibles et les irradiait... Puis Le Ministre porta la main au front et ramena ses cheveux en arrière. Il sortait de l'Elysée. Le Président lui avait pris le bras " Je vous attends demain à dix heures, je veux tout savoir sur cette connerie..." Maximilien s'était pourtant fendu d'un rapport de quinze pages, mais la bagarre avec le nain-jaune avait pris une sale tournure depuis qu'il avait parlé de racaille devant les médias.

" Vous qui savez tout, Bôzes, dites moi ce qu'on raconte à la piscine..." Bôzes était un vieil ami de collège, ils avaient tous les deux rivalisé de savoir-faire... Max raflait les mises en versions latines et grecques, l'autre ne descendait pas en dessous des dix-huit, se payait le luxe de traduire ses thèmes en vers... dactyles, spondées, etc... De mémoire de Jésuites on avait jamais vu ça... Ils s'étaient retrouvés au cours d'une chasse en Beaujolais... Max venait d'en finir avec une ambassade orientale, on le pressentait pour le ministère de l'Atmosphère. Sa femme avait convié la presse à vider quelques bouteilles sous prétexte de commerce extérieur. Bôzes faisait à cette époque dans le discours de classe pour énarques forts en maths. On l'appréciait à Bercy où les juristes se moquaient des économistes qui rasaient tout le monde et où on se moquait des juristes qui coupaient les cheveux en quatre avant de les couper en huit. A la ville il accompagnait de grosses têtes chez les intellos, les féministes et les artistes... Personne ne résistait à ses remarques sur la grammaire, il pouvait citer tous les auteurs et moucher les prétentieux. Une attirance un peu sorcière faisait qu'on se tournait vers lui, qu'on l'écoutait quoi qu'il dise et que ses protecteurs se trouvaient ainsi à l'abri de questions gênantes... Il avait le courage et la force que donnent l'étude parfaite et la littérature bien comprise. Les recoins de sa personne n'étaient accessibles qu'à des connaisseurs de l'âme, jamais en tout cas aux gens pressés du tout Paris ni aux egos surdimensionnés. Il terrorisait les faiseurs de morale. Maximilien en fit son directeur de cabinet. Ils continuèrent à se vouvoyer, une habitude prise chez les pères, qui forçait le respect de leur entourage et des habitués de la salle d'armes.

"Max, vous vous tracassez pour pas grand chose. C'était une "émotion", une espèce de jacquerie urbaine... c'est un feu qui couve et personne ne sait quand il repartira. Les affaires graves c'est pour 2020-2030, au zénith du capitalisme moribond, de la pollution, des migrations et du chômage... Le "Progrès" nous mène par le bout du nez, nous sommes incapables d'imaginer d'autres issues que la fortune, la mise en extase de l'individu et le délire technologique... Nous avons choisi de sombrer en musique , Max, en musique comme sur le Titanic... Il suffirait de ralentir les machines et de perdre le ruban bleu, d'organiser une partie de pêche, quelques promenades en canot, de prévenir New-York qu'on arrivera en retard... Non Maximilien... Nos démons ne sont pas dans les banlieues..."

figure normande. huile sur bois. banlieue. michel ducruet
Ducruet.©. 2005. Normande.

"J'ai appris qu'à bord du Lusitania, les gens qui avaient pris l'ascenseur pour être les premiers sur le pont sont restés coincés à cause d'une panne d'électricité, et qu'ils sont morts comme des rats." Maximilien n'avait rien trouvé d'autre à répondre... Il s'en voulait d'avoir perdu trop d'illusions. Il se touna vers le Philippe de Champaigne. Dehors la neige avait tout recouvert. Les contrastes devenaient prodigieux dans cette lumière grise, les couleurs montaient en puissance, plus fortes que des coups de marteau sur une charpente. Encore une fois les bleus du premier plan échappèrent à tout contrôle, les formes se faisaient et se défaisaient toutes seules, le vieillard semblait s'agiter sur place et remuer la tête. Les ocres des bras et les pieds nus remuaient les feuillages... Ce tableau soufflait comme le vent. Bôzes s'était rapproché, il sifflottait : " Max, vous voyez bien que ça ne sert à rien d'être moderne... de prendre l'ascenseur pour éviter la noyade... La peinture?... Des boues colorées, mises en formes... Les banlieues? la même chose... si on n'en fait rien de bon c'est qu'on ne sait plus écrire ni parler, que les pédagos se prennent pour des maîtres, que tout crétin est à l'avant-garde du bonheur et que la Littérature est aux chiottes..."

"Bôzes, si je vous traduis bien, nous ne sommes malades que du langage... " " Maximilien on n'a jamais souffert d'autre chose... Les mauvaises phrases aux mauvais endroits, les mots inutiles à la place des mots pour rire, les comptes truqués et les faux amis... Les vrais salauds sont ceux qui pervertissent la langue et rendent les hommes inaudibles et sans voix les uns pour les autres... Nous sommes dedans. Vous direz au Président qu'il jette des bananes aux cités, mais surtout qu'il n'écoute ni la gauche caviar ni la droite cartier qui se prennent pour des bretons de l'île de Ré..." Bôzes riait près de la fenêtre, regardait la neige tomber... Il revint avec un air étrange, regarda longuement le tableau... " Vous savez , Max, ces gens-là ne craignaient qu'une chose: qu'on enlève le poids du monde sur leurs épaules... ils n'avaient peur que de Dieu et du Diable... Nous, nous sommes effrayés par nos enfants et nous crevons de jalousie quand la nature est belle..."

     
Maghrébine. huile sur bois. banlieue. michel ducruet
Ducruet.©. 2005. Maghrébine.
     
     
     
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