Qui sait?

L'Homme normal est une invention de l'Homme ordinaire qui fut inventé par des fous pour faire oublier les pilules de l'arbitraire. Il y a des rêveries dont on ne peut se passer. La plus fameuse consiste à dire des inconnus qu'ils sont nos semblables. D'autres brillent des feux de l'amour universel et de l'égalité. L'argument s'appuie sur des conclusions logiques: nous sommes doués de raison et puisque deux et deux font quatre dans les deux hémisphères la seule volonté qui mérite l'obéissance doit être la "Volonté Générale", c'est à dire celle des 50% + 1 de la population . Sur ce granit des esprits clairs on a gravé les Droits de l'Homme et du Citoyen en y ajoutant deux ou trois bonnets rouges et quelques guirlandes de feuilles de chêne.

Les Dieux, les esprits et les astres furent pendant quelques millions d'années les seules "volontés" capables de pousser les hommes à travers des territoires dont personne ne savait s'ils étaient plats, courbes ou infinis... Les Hommes marchaient au pas avec de grandes prudences et des chiens dressés à monter la garde. Quelques analogies les aidèrent à voir clair dans le jeu des fauves. Quelques vertiges et quelques caresses leur donnaient du plaisir et quelques divinités grossissaient de fruits le ventre des femmes. Les odeurs des repas et des corps tenaient lieu d'état-civil et de toutes les habitudes la plus tenace fut d'être ensemble autour d'un feu. C'était en quelque sorte l'âge de Saturne, celui de la Terre qui suffisait aux besoins de quelques milliers de marcheurs sans travail, cueilleurs de noisettes et d'airelles, chasseurs de mammifères ou ramasseurs de coquillages.

On ne sait pas ce que pensaient nos ancêtres, mais à la sortie de l'Age d'Or l'espèce proliféra quand même et quelques lois impitoyables furent établies jusqu'à nos jours. La plus respectée consistait à mettre les femmes à leur place : elles devaient parler jusqu'à plus soif des choses secondaires et se taire sur les principales... C'est ainsi que la Culture, la Connaissance et le Langage passèrent entre les mains des hommes. On peut dire que les femmes sont à la Culture ce que les bonnes soeurs sont à l'Eglise, un bras gauche utile et sans prestige. Qu'y-a-t-il de plus insupportable aux oreilles bien entraînées que les phrases secondes des institutrices et le sérieux mal fagotté des enseignantes visionnaires?... Nous sommes à deux doigts de ne jamais savoir qui sont les femmes. Il faudrait en abandonner dans quelques forêts ou des îles pour voir ce qu'elles sont capables de faire et quel serait leur vrai langage. Disons qu'elles ne peuvent compter que sur soi pour être soi-même, à moins que profitant du désintérêt des hommes pour l'Esprit, de l'affaissement programmé des virilités par les marchands de bonheurs, elles s'emparent de quelques secrets perdus, remontent la pente de leurs esclavages, surprennent leurs maîtres pendant leur sommeil et après avoir tranché quelques têtes, fassent écrire en lettres de sang que le sexe n'est plus une affaire... et que la langue des hommes fut une langue de bois.