VENISE .... | ||
Ducruet.2010.©
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On
ne s'y noie pas dans un verre d'eau, le vin n'y a pas le goût de
flotte et certain rizotto à l'encre de seiche vous rapproche de
l'amour. Cette momie vaut toutes les pucelles du monde. Mais ses manies
sont coûteuses, vous font marcher dans l'oubli des lignes droites,
passer chaque jour une infinité de ponts et vous tromper de Cythère
tous les cent mètres ... On ne put faire mieux pour les incognitos,
les trajets nocturnes et la musique. Tant de théâtre rendait
les masques ordinaires et les courtisanes habiles... On y inventa le tourisme
sous le nombril et pendant douze siècles on y fourra un minimum
de religion sous des montagnes d'or. On y a l'esprit entre les vagues
et les nuages, il peut y faire beau plusieurs fois par jour et l'étroitesse
des rues s'accommode de petits chiens que les jeunes femmes portent sur
le bras dans les vaporetti. Il n'y a plus grand chose à faire à
Venise, relire une multitude de testaments, faire dire aux statues quelques
secrets, mener une vie de fonctionnaire, charger et décharger des
colis ordinaires, méditer sur les empires défunts, la vie
des chats et des mouettes. Je n'ai pas vu de pêcheur à la
ligne... Il y eut trop de monde dans les reflets et les vagues, de froissements
d'étoffes, de propos furtifs et de rires... On n'y voit plus d'abbés,
de moniales et de filles de joie... Les linges qui pendent aux fenêtres
sont sages... Des bateaux plus élégants que des fers à
repasser déversent leurs touristes sur les gondoles... Les morts
ont quitté la ville sur ordre de Bonaparte, on dirait qu'ils ne
sont jamais revenus... C'est une espèce d'éternité
qui passe sous les fenêtres aux volets fermés, comme les
violons increvables des airs baroques, comme la transparence fruitée
des vrais Murano, comme des arpèges flamboyants dans un opéra
de bois... On mesure ici le genre de catastrophe que fut la découverte
de l'Amérique et le décentrement du monde, l'Ouest poussé
trop loin de l'Orient.
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Ducruet.2010.©
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