Des hommes astucieux vous ont expliqué que vous tourniez en rond dans la Nature. Ils avaient compris que le Soleil attire les corps célestes, les propulse autour de lui à des distances proportionnelles à leur masse. Vous qui avez les pieds sur Terre, vous tournez d'ouest en est sur votre planète depuis votre naissance, tenu par les lois de la gravitation. Ce n'est pas rassurant. Il vous arrive de lever les yeux et de vous demander ce qui se passe. Dans certains livres il fut écrit que vous descendiez de créatures spéciales, venues au Monde par la volonté d'un être suprême qui s'ennuya au point de pétrir de l'argile et de souffler dessus. Pourvu de bras et de jambes, vertical en temps ordinaire, votre ancêtre n'aimait pas la solitude. Son créateur lui colla un sexe et lui remit une compagne d'esprit, de coeur et de corps. Ce tandem avait de curieuses manies. Il passait les nuits sur l'herbe et se plaisait à ne faire qu'un, stimulé par quelques ressorts de l'imagination ou des parfums subtils. Au lever des jours il commençait des promenades enchanteresses, faisait de l'exercice, buvait de l'eau claire et cueillait des fruits mûrs. A force de zig-zags et d'escalades, ils prirent de la mémoire, se donnèrent des gages en se posant des questions... Certains soirs, plutôt que de se jeter l'un sur l'autre, une vieille tradition nous rapporte qu'ils oubliaient de dormir à force de parler. Ils se prirent enfin de jalousie pour leur Créateur qui savait tant de choses et lui volèrent deux ou trois secrets. Hélas ce n'étaient pas les plus intéressants ni les plus digestes... Ils apprirent qu'ils étaient nus comme des vers, que leurs jours étaient comptés, qu'ils courberaient l'échine sur la terre pour en arracher du pain et que leurs plaisirs nocturnes feraient naître la douleur ...
Toutes ces sornettes occupent encore les cervelles dans le pays de l'axe du bien. Ailleurs on se raconte aussi des histoires à coucher dehors où les hommes sortent de la cuisse de Jupiter, échouent d'un voyage intergalactique, viennent au monde par la grâce d'entités peu rassurantes... Aux dernières nouvelles tout vient d'une vieille explosion d'il y a quinze milliards d'années. Puis au fil des générations d'étoiles, des combinaisons d'hydrogène, d'oxygène, d'azote et de carbone auraient engendré des bestioles dans les mers, des lézards sur les rochers, des animaux à sang chaud et des primates de branche en branche. Mais de toutes les élucubrations, la plus déjantée consiste à prêcher que la Nature est bonne, que nous sommes ses enfants les plus doués et que tout nous appartient. La modestie n'est pas notre affaire. Ce que nous appelons Nature ressemble comme deux gouttes d'eau à la somme de nos ignorances. Nos cerveaux les plus doués s'emploient à faire péter des bombes sur leurs semblables ou tourner des films innombrables sur nos caresses et nos disputes. Nous mangeons tout ce qui respire et nous empoisonnons tout ce qui nous gêne. Entre deux goinfreries nous avons des indigestions de religion et de philosophie qui nous autorisent quelques massacres supplémentaires et réductions d'effectifs. Entre deux mensonges nous choisissons toujours le gros ... Par exemple nous jurons que nous ne sommes pas des animaux et que nos beautés dépassent tout ce qu'on peut voir. Mais comment vivre sans illusions quand on est déjà si près de la folie ? Qui ne donnera des empires, ne vendra père et mère, n'étranglera les consciences pour décrocher les pompons du manège autour du Soleil, se réveiller plus neuf que la veille, s'offrir des chairs fraîches et des profusions de chansons ?...
