Je me souviens d'un géographe qui parlait de Géographie à quelques professeurs du secondaire. C'était un de ces universitaires de province qui arrondissent les fins de mois par des "conférences" dont il partagent la subvention ou l'idée avec des inspecteurs pédagogiques. Ce brave homme, agité sur sa chaise à la manière d'un candidat Mitterand derrière son pupître, allait et venait de vingt centimètres vers son public d'enseignants captifs et rasés... Ces universitaires ont la manie du prêche et leur bienveillance les rend insensibles aux yeux mi-clos et aux baillements étouffés de leurs victimes... Car, vus d'une estrade, les professeurs ressemblent à des benêts qu'on peut lester de phrases sympathiques du genre :" Newton, vous connaissez?..." ou :" Chers collègues, nous sommes là pour vous défendre..." Cet ami des sciences montait sa voix toutes les cinq minutes :" Mesdames et messieurs , c'en est fini des déterminismes et des territoires...", aujourd'hui les hommes ne subissent ni les reliefs, ni les climats, ni les fleuves... Les techniques configurent l'espace et les réseaux sont les nouvelles patries des sociétés..."
Je traduis tant bien que mal :" La planète emmilliardée de surhommes, toilée de cables, d'ondes, de communications perpétuelles, les océans devenus des réserves de poissons et des supports de navires, les villes devenues des noeuds, les montagnes piquées de stations et parcourues de flux financiers, les populations épousant les courbes et les courbes pliant les humbles aux gré des croissances... Partout le triomphe de la volonté, la force des désirs, la frénésie des savoirs et la mise en route des copulations intercontinentales... Le métissage illimité des arts, des consommations et des grains de peaux... La Terre remuée de volontés générales et de marchés aux mains invisibles... Le ciel obscurci d'avions..."
On apprit le lendemain qu'un séïsme de grande ampleur avait détruit le port de Kobé, fracturé ses polders et donné l'alarme sur les fragilités du "Modèle " japonais, comme l'écroulement d'un certain mur fit disparaître le "Modèle" soviétique et comme des crises financières à répétition commencèrent le compte à rebours du gel de la "Puissance des USA", autre tarte à la crème académique, inépuisable sujet de baccalauréat à la portée des caniches et des amateurs d'effets spéciaux... On apprit ensuite qu'il fallait importer la Démocratie en Orient, là où la liberté fleure le pétrole... Que la naissance du Kossovo profitait aux gens honnêtes... Que les gazons des colonies israëliennes étaient les espaces verts du désert palestinien... On apprit encore que des coréens fûtés achetaient des terres agricoles à Madagascar, que des producteurs de champagne plantaient en Argentine, que des chinois faisaient du Cognac en France, que le Zaïre échangeait du sous-sol contre des polichinelles, que les vaches d'Amazonie remplissaient des King-Burgers, qu'un drapeau russe avait été planté au fond de l'Arctique... Que des îles tropicales et des clubs de Foot lavaient le linge sale des mafias, des églises et des honnêtes investisseurs de Zurich ou du Luxembourg... Que la Chine cachait des matelas de bons du trésor américains, que les riches construisaient des ranches en Patagonie, que des stars du féminisme élevaient des boeufs dans la Pampa...
Comble des déterminismes, voilà que les climats se réchauffent, qu'on ne sait plus si l'Europe va ressembler au Labrador où à la Libye, qu'on assiste à la montée des mers, à la submersion prévisible des régions les plus peuplées et les plus urbanisées... Des centaines de millions de sauterelles humaines quitteront les déserts, des milliards de bouffeurs de merde joueront aux gendarmes et aux voleurs dans le béton ... chasseurs de vieux cons et de culs serrés pour le fun et le buiseness.
On se dit que dans les territoires biens gardés du siècle, avec de l'eau, de la terre et des graines on pourra faire l'amour en toute quiétude et consommer des salades fraîches.
