RAISONS DE VIVRE ...
     
     
...............................
     

A défaut d'être inusables, nous avons un faible pour l'éternité. Les dieux furent immortels et lorsqu'on entrait au Paradis, descendait aux enfers, c'était pour toujours. Nous avons inventé des droits inaliénables et sacrés, comme la propriété. Nous rêvons de progrès et de croissance. Nos centenaires sont une armée, nos dentistes remplacent nos chicots par des dents blanches, nos chirurgiens font avec de vieilles joues des peaux de pêche... Nos éleveurs de volailles divisent par trois les train-trains de la nature et nos téléphones se multiplient plus vite que les pains et les poissons des évangiles... Nos amours sont aussi éternels que nos regrets. Nous sommes de plus en plus forts et tous les trompe-la-mort de la Terre vous diront que si on veut on peut. " On n'arrête pas le Progrès " disent les parieurs professionnels qui ne lisent plus depuis longtemps les fables de La Fontaine... Nous approchons constamment du bonheur et des températures tropicales... c'est presque gagné. Il ne reste qu'à finir avec quelques détails... C'est dire à quel point la Mort peut nous faire confiance. D'ailleurs elle nous fait crédit sans rechigner, déroule le tapis rouge au coeur des forêts de Bornéo et jusqu'au fond des mers. Elle nous débarrasse en vitesse des insectes et de toutes les bêtes qui nous encombrent mais garde sous la main quelques poignées de bactéries et de virus au cas où nous ferions un peu trop les malins.

Elle change. Les anciens disaient qu'elle n'avait que la peau sur les os et qu'elle parcourait le monde avec une faux. Ceux qui la connaissent bien disent au contraire que c'est un boudin, qu'elle s'habille de couleurs acides, qu'elle parle du nez, qu'elle a des oreillettes et qu'elle danse devant un ordinateur doré... autres temps autres morts... Ils rajoutent qu'elle ne fréquente plus les poètes ni les écrivains parce qu'ils arrivaient à lui piquer des secrets. Georges Bataille, en soulevant les jupes de la littérature découvrit bien autre chose qu'un sujet de Baccalauréat et un marin d'amérique, Martin Eden *, s'y prit d'une étrange manière pour finir ses jours sans autorisation. Les écrits restent et même si les générations d''hommes se suivent comme les générations de feuilles (Homère), un grain de sable peut se glisser dans cette mécanique. Les vanités n'aiment pas qu'on les dérange, rien n'est plus détestable à la mort qu'une conscience qui remue comme un chien dans un jeu de quilles. C'est pourquoi les gigolos de la communication se mêlent de pédagogie et les pédagogues de communication... pour empêcher les consciences de se nourrir de solitude et de silence, comme les champignons qui naissent de la pluie et de la chaleur... Le triste spectacle de nos quatre vérités nous renseigne sur l'envers de la sagesse: c'est une affaire de culs et d'estomacs. 3000 experts de l'obésité nous informent depuis Sydney qu'il y a sur terre plus de gros lards que de fesses comme des poings. Ils disent qu'une génération vient de naître qui sera plus courte que la précédente... Donc nos vies sont de moins en moins des romans puisque la mort besogne à tour de bras quand les plats sont sucrés et les droits de propriété surveillés par l'Axe du Bien. La Polynésie n'est plus le Paradis de Gauguin, la jeunesse y défonce les suspensions des scooters, nonobstant les cargaisons de "neige" et autres gloires du commerce international...

L'optimisme consistant à survivre, nous devrions en pincer pour les évasions mentales, pour grimper sur de hautes branches, changer d'atmosphère retrouver les gestes et la santé de la conscience... L'imaginaire passe sur le ventre et les doigts crochus de la réalité, souffle sur les jardins, balaie les nuages... Il est encore temps de préférer les oiseaux du ciel et les lys des champs, de connaître les sciences, de vivre souvent d'amour et d'eau fraîche, de faire une minute de silence quand le soleil se lève... il faudra y passer sous peine de mauvaises graisses et de morts infâmes.

* Jack London. 1909.

     
antique. jeune joueuse de dés. Berliner museum. photo michel ducruet.ours de Berlin. détail. photo michel ducruetantique. jeune joueuse de dés. Berliner museum. photo michel ducruet.
 
Ducruet.©. 2006. Berlin.
 
     
     
     
     
P.................HOME/PAGE-ACCUEIL.......@..........NEXT/SUIVANTE...........RETOUR
     
     
     
 

Statistiques web