FAUT-IL LE DIRE ? | ||
Ducruet.©.
Tulipes n°187. 2006. |
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Quels sont nos désirs? Si je demande à mes amis ce qui leur manque à la fin du mois pour être délivrés de leurs éternels besoins d'argent, ils me disent tous qu'avec 30% d'augmentation, tout serait parfait. Ce qu'ils ne disent pas, c'est que leurs besoins n'arrêtent pas de se multiplier et qu'ils n'ont aucune chance de remplir ce tonneau des danaïdes. S'il fallait comme en 1900 bien manger, avoir chaud sous un toit étanche, les pieds ailleurs que dans des sabots, il suffirait de travailler dix heures par semaine pour faire des économies... La technique met sur le marché tout ce qu'il faut pour vivre à crédit, grossir ses valises et se payer des sensations dignes de nos diplômes, de nos âges et nos sexes... Autant dire que nous n'en finirons pas de péter plus haut que le derrière en courant après le bonheur. Pour nous calmer, il faudrait que nos informations soient fiables... En voilà quelques unes, gratuites et désintéressées. Il faudra douze planètes Terre pour assurer l'existence matérielle des 8 milliards de citoyens du monde sur le modèle nord-américain pendant une durée raisonnable de mille ans. Donc tout va bien. Il y a tant de non-manuels autour des plantes vertes des entreprises qu'on se demande comment produire autre chose que du bruit et des images... Pourquoi sur-payer les cols blancs et sous-payer les cols bleus ?... Les emplois? Arrangeons-nous pour faire progresser les cancers, les diabètes, les asthmes et l'obésité... C'est une astuce comme une autre pour doper la chimie, les ambulanciers, les laboratoires d'analyses, les pharmacies et l'industrie générale des soins... Faisons baisser le coût de l'alimentation pour être sûrs de consommer des montagnes d'énergie, de pesticides et autres excréments qui économisent de la main d'oeuvre et transforment les réserves d'eau en or liquide et pompes à finances... Le pétrole est de plus en plus cher, surtaxons le fuel lourd pour faciliter les délocalisations industrielles, réduisons le coût de l'essence et du gazole pour attirer les pollutions, engraisser les assureurs, creuser le trou de la sécu grâce aux accidentés de la route... Bottons le cul à la culture française en estropiant la langue, en dégradant les universités, en sacrifiant les enseignements techniques et en remplaçant l'étude des faits par celle des dogmes au collège et au lycée... Efforçons-nous de réduire les aides à la famille et de les remplacer par des subventions aux agriculteurs productivistes... Plaignons avec des larmes de crocodile les imbéciles qui ont trois ou quatre enfants... Dépensons dix fois à Paris ce qu'on dépense une fois pour la culture en province... Expulsons les quinquas du travail, oublions de dégraisser le secteur tertiaire des surnuméraires qui l'encombrent, décourageons les gosses des métiers manuels et productifs, créons des emplois financés par l'impôt au lieu d'être générés par la consommation... N'offrons aux chômeurs que le travail qu'ils savent ou veulent faire... Fermons les yeux sur les salaires des travailleurs manuels et surtout n'enlevons rien aux revenus surévalués des non-manuels... Ne jugeons pas d'une politique économique sur ses résultats mais sur ses intentions... Ne formons pas les jeunes aux métiers qui correspondent aux besoins... Ne cultivons pas la productivité... Ne permettons pas les licenciements pour être sûrs de manquer les embauches... Ne prolongeons pas la vie active... Laissons la jeunesse aspirer au repos... Ne favorisons pas l'innovation, les dépôts de brevets... Admirons nos héros des classes préparatoires et de l'Agrégation qui ont fini à 25 ans de prendre des risques... Laissons nos chercheurs tourner en rond dans le vase clos de leurs statuts et de leur avancement à l'ancienneté... Faisons baisser le coût des transports pour rendre incontrôlables les flux migratoires et irréversibles les folies identitaires... Ne faisons plus d'enfants pour être sûrs d'importer la jeunesse des autres... et perdre les moyens culturels de notre cohésion sociale.... Vous voyez que les bonnes idées ne manquent pas quand il s'agit de nous envoyer dans le mur... On pourrait en rajouter quelques pelletées... Dans " La tragédie du pouvoir " un petit livre paru en 1979, Alfred Sauvy remue le tas de sable de nos conformismes et de nos imbécillités chroniques. Vingt six ans après, nous sommes encore dans nos ornières, nous abordons le 21ème siècle comme des écrevisses et en rêvant... Les désordres, les secousses brutales, les cauchemars, les tragédies frappent à la porte... "La tragédie du pouvoir", Quel avenir pour la France? ALFRED SAUVY. Coll. Pluriel. Calmann-Lévy. 1979. Trouvé en excellent état chez Emmaüs pour la somme de 30 ct d'euro, le 23 mai 2006... |
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Ducruet.©.
Tulipes n°173. 2006. |
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