.............."Dites-moi, Bôzes, vous qui savez tout..." Maximilien s'était approché de la fenêtre, il se penchait un peu, regardait sans voir.

..............Bôzes avait l'habitude. Quand les énarques faisaient durer, le ministre s'affolait le mardi. Mercredi, le Président se tournerait de son côté avec l'air de ne pas y toucher, attendrait l'instant précis de la fin du Conseil, quand les mains droites sont aux accoudoirs : " Maximilien je veux tout savoir sur cette connerie, on se voit demain à neuf heures..."

Cette histoire de climats commençait à bien faire. On bluffait depuis vingt ans, les journalistes avalaient les papiers des experts et comme les experts, auto-proclamés, dépendaient largement de fonds secrets, toutes les vérités qui n'étaient pas bonnes à dire passaient à la trappe. Qu'une gloire ancienne de la Géographie ait annoncé qu'un jour les hommes, hagards, se précipiteraient à la recherche d'eau pure, et ceci en 1877, ne risquait d'effleurer personne et surtout pas les pédagos de service. "Maximilien, vous savez que les fonds de tiroirs universitaires sont vidés dans l'enseignement. Autrefois les meilleurs passaient les concours. Aujourd'hui ce sont les demi-portions qui apprennent à apprendre aux enfants du peuple... On m'a parlé d'un joyeux drille qui a donné deux heures de cours sur "l'attention" dans un bahut de sous préfecture à des jeunes de quinze ans... Maximilien fit semblant de se mettre en colère :" C'est quand même la Démocratie qu'ils enseignent!... La République n'a pas besoin de singes savants!... Bôzes, vous feriez mieux de me dire où on en est. Il paraît que les canicules multiplient par quatre la production de co2..." Bôzes plissait le nez en se tordant de rire : " Monsieur le Ministre c'était pour dire que les citoyens éclairés sont au Panthéon ou sous tranquillisants..."

Maximilien se retrouva ministre un peu par hasard. Sa femme, une beaujolaise qui avait hérité d'une Roll's et de cinquante hectares de Chiroubles, avait ses habitudes avec des cousins de Lorraine qui faisaient dans la ferraille depuis trois siècles. Les cousins regonflés par de solides épousailles côté banques, de belles amitiés côté Culture et de grandes arnaques côté militaire, poussaient leurs pions vers Rambouillet les jours de chasse. Maximilien connaissait des milliers d'histoires cocasses de faisans, de lièvres et de perdreaux... C'était une passion héritée de son grand-père dont la vie ne fut qu'une longue battue coupée de placements juteux. Il plut à un Président de la République amateur d'éléphants, de pierres précieuses et de canardières qui en fit un conseiller général du côté de chez Pierre Laval, puis un convive des banquets de l' Elysée. De fil en aiguille , de président en président et d'ouverture en ouverture, le conseiller devint diplomate et s'entoura de jeunes diplômés des grandes écoles, natifs de Lorraine ou du Beaujolais. Sa moitié lui fit un costume de défenseur de la Nature en arrosant les journalistes locaux. Dans ses ambassades il vida généreusement ses cuves, fit des heureux... leva des inhibitions... A force de bonnes histoires et d'explications sur le zinc il suscita la confiance : un Premier Ministre lui offrit un fauteuil tout neuf, il devint Ministre de l'Atmosphère...

Bôzes revint à la charge: " Les types du CNRS ne sont pas d'accord entre eux sur les détails, mais ils ont tous la trouille. C'est une affaire d'une génération maximum. Nous sommes cuits, Maximilien, aussi cuits que Bush et Blair en Irak... Vous allez avoir les betteraviers sur le dos et les éleveurs dans les pattes...Ensuite ce sera le tour des animaux malades de la Peste... On a beau changer les normes la flotte est imbuvable... Quand j'avais vingt ans il ne fallait pas dépasser 19mg de nitrates, on écrit maintenant dans toutes les mairies qu'à 50 tout est normal... on double les asthmatiques tous les quinze ans, les cancers tous les vingt ans , les obèses tous les dix ans, on se tape une canicule tous les deux ans et le sous-emploi en permanence... Il y a plus de trous dans la société que dans la couche d'ozone... Maximilien c'est parti pour de bon, on ne sait plus rien faire que cracher par terre avant de se foutre sur la gueule... Notre histoire sera celle de notre disparition et notre disparition c'est un peu le bébé de nos sciences... Il l'avait compris, le vieux Reclus*, quand il radotait sur les peuples affolés à la recherche d'eau pure... "

"Vous direz ça aux électeurs ?... " Maximilien levait les épaules, serrait les mains dans ses poches... "Même mon pinard n'est plus ce qu'il était... Il commence à avoir un goût de terre... Ils font des recherches là-dessus, ma femme dit que c'est à cause du cuivre qui finit par descendre trop bas dans les sols... j'ai déjà racheté des vignes en Argentine, on ne chipote pas, on fait du transgénique... Bôzes l'interrompit : " Vous savez Max, il va falloir choisir entre la folie furieuse et la folie douce... Après tout c'est ça la politique, non?..."

" Les dinosaures ne faisaient pas de politique, Bôzes... mais les plus légers sont devenus des oiseaux... Vous savez, vous, quels hommes survivront aux hommes? " Maximilien eut un large sourire, comme s'il racontait sa meilleure histoire : " Il y en aura, Bôzes, et je peux vous le dire, ils seront petits et verts!... Vous n'avez aucune chance, ni le Pape ni le Président ni personne de bien élevé... C'est ça que je vais lui dire et vous allez voir qu'il va trouver des solutions!...."