Nous parlons du corps comme d'un autre. Quand ils avaient une âme les hommes passaient quelques années dans une carcasse. Ils se permettaient de rapides plaisirs entre l'apprentissage de la guerre et celui de l'amour. Peu de temps pour faire le tour de soi-même et disparaître après un acte de contrition... Qu'ils aient brûlé ou non la chandelle par les deux bouts les vilains duraient autant que les sages et plus que les saints innocents... Les injustices de la santé n'empêchèrent pas nos jeunes ancêtres de tailler la route dans un monde durable, de détourner les rivières vers des fontaines de bronze, de creuser des étangs entre les forêts, d'inventer une cuisine intelligente pendant les famines : à preuve la fricassée de grenouilles et la fournée de petits gris...

Quand les savants mettent des bâtons dans les roues de la Fortune, que plus exactement les escargots n'ont plus l'air de tomber du ciel, c'est qu'on devient raisonnable, que la Providence passe la main, que les élus font descendre le Paradis sur Terre. Une pareille nouveauté se paie de maladresses : nous n'avons pas encore trouvé le moyen de vivre longtemps sans nous exterminer en masse. "Sauvons la planète" disent les presbytes. Une espèce d'angoisse travaille le monde depuis que les éléphants sont sans défenses et que des illuminés rêvent de ressusciter les mammouths. Dieu ne nous abandonne pas tout à fait, il fabrique des prophètes qui veillent à ce que tous les hommes se retrouvent devant des steacks frites et des sodas. Pour cette raison les pauvres de l'Axe du Bien sont gras et comme dit l'évangile du Texas il sera plus difficile à un pauvre d'entrer dans le royaume des cieux que de passer par le trou d'une aiguille... Mais si vos cartes de crédit sont ok vous avez de très grandes chances de finir centenaire et léger. Ce n'est pas le cas des anglaises qui bossent à l'usine ou pointent au chômage car elles picolent quatre fois plus qu'il y a vingt ans pour mieux préparer l'avenir de l'Europe sur la tombe de la mère Thatcher... Où l'on voit que Dieu fait encore des miracles puisque ces braves travailleuses pètent le feu quand elles se privent de passé, d'avenir et de présent pour la plus grande gloire du marché et de la flexibilité.

Comme les riches n'ont pas plus d'âme que les autres, leurs corps les tracassent et ils dépensent des sommes considérables en entretien. Au départ ce n'est qu'un tuyau qui risque de s'entartrer. Cette plomberie délicate supporte le caviar et le champagne jusque dans le Lubéron, accepte les petits légumes bio, s'accommode de fruits non traités et de lait écrémé. Des massages réguliers, toutes sortes de prothèses, des vêtements bien coupés et les sièges cuir des grosses berlines rajeunissent les artères. Les traitements de surface donnent à ces déguisés un air de jouet scientifique et aux octogénaires le plaisir d'une seconde adolescence. Nos vieillards ont des dents de lait, des sourires d'anges, ils sont parfaits sur les écrans et le seront un jour sur des images pieuses... Car il s'agit, à défaut de ressusciter les corps, de faire comme si l'on ressuscitait les dieux...

Ces joyaux biologiques liftés, redentés, hormonisés, bronzés, ont quelques affreux désirs ... l'inavouable étant que sous le soleil de Satan 6 milliards de pauvres se la coulent en bas de l'Olympe comme des cochons, en bouffant de la merde, copulant dans la crasse et ne foutant plus rien... les robots s'occuperaient du ménage.