LES MOTS ET LES JOURS... | ||
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Les grandes villes sont les lieux remarquables des échanges culturels dans la société de progrès. On pourrait croire qu'en se privant de campagne et de grand air, les hommes s'abrutissent et dépensent leur énergie en pure perte, mais notre intelligence veille. Puisque nous sommes là où se trouvent les emplois et que les emplois se trouvent là où nous sommes, nos élites se concentrent autour de nos chefs, nos classes moyennes autour de nos élites et les pauvres décrivent des arcs de cercle autour de la capitale... Au coeur du système nous avons édifié des havres de réflexion que fréquentent des millions de visiteurs. Les trésors de l'esprit y disposent de solides installations où grands et petits peuvent penser ensemble. On y joue au maître et à l'ignorant, bref, on s'y cultive pour moins cher que le parking d'en dessous et le resto d'en face. | |
Paris.01/05/2005.
Ducruet.©. |
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C'est que la Culture est la grande affaire du siècle. Grâce à elle nous n'avons eu qu'un nombre restreint de guerres mondiales et de génocides et il est probable que sans elle nos élites devraient s'accommoder de quelques millions de chômeurs en plus et l'Education Nationale se priver de dictées et de rédactions dans les Grandes Ecoles... | ||
Paris.01/05/2005.
Ducruet.©. |
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Les grandes questions trouvent des annonceurs. Si vous êtes né sous une mauvaise étoile, que vous doutez de vous-même, de vos supérieurs et de vos médias, allez voir un scientologue ou un analyste transactionnel... Ils vous débarrasseront des symptômes qui vous gênent. Vous serez enfin sûr d'être normal et heureux de vos journées. Il est probable que votre sens des responsabilités s'affermira, que votre entreprise vous confiera des formations auprès du petit personnel aux nerfs fragiles... Votre estime de soi sera contagieuse et vous vous réjouirez d'avoir mis dans le vide-ordures les livres cauchemardesques qui faillirent vous attrister. Vous ne lirez que du positif et vous serez surpris de voir comme vous êtes adroit quand il s'agit de repérer les aigris et tous les faiseurs d'histoires de la société... | ||
Paris.01/05/2005.
Ducruet.©. |
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Vous pourriez aussi rendre le monde supportable sans passer par les académies du bonheur. La paresse est la conquête de l'intelligence, Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, en fit l'éloge dans un petit livre ignoré des imbéciles. Les rivières sont bordées d'oisifs qui ne préparent ni la troisième guerre mondiale ni l'extermination des baleines... Les névropathes font rarement l'école buissonnière... Les névroses furent longtemps aux sources du progrès et aux ordres de l'économie, mais elles exigent des apprentissages rigoureux et de l'autorité pour que les individus se mêlent des désirs qui ne sont pas les leurs. Le dépassement de soi-même, formule équivoque, permettant l'usinage de héros et de bienfaiteurs, tel fut l'objectif de la vieille école, dévouée à l'orthographe, à la syntaxe et à la connaissance. C'est fini, nous en sommes revenus, elle est incompatible avec la production de masse et l'industrie des loisirs... Le droit de ne plus écouter qui, chacun le sait, pousse au génie dès la maternelle, fertilise les cervelles et muscle la langue, prépare les individus à la révolution culturelle de l'ignorance débarrassée de sa honte... Le partage des jouissances et des richesses médiatiques donne à la Culture une dimension planétaire. Dans le bazar des "biens culturels", les consommateurs arbitrent la vente des émotions... Le vide pèse parfois plus lourd que le plein, l'eau tiède brûle souvent les statistiques et le singulier n'intéresse pas les grands distributeurs. A mesure que les mots perdent leur pouvoir de métaphore, le langage, tel une mauvaise monnaie, se perd dans la répétition... Il n'y a plus grand chose à désirer... ni à dénoncer... Il ne reste qu'à jouir le lendemain de la même chose que la veille. | ||
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Paris.05/2005.
Ducruet.©. |
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L'Art de vivre deviendrait-il facile? Il reste dans les rues et les jardins publics les traces de nos anciennes manies, quand chacun ne rêvait de n' en faire qu'à sa tête au lieu de raccourcir les grands et de rallonger les minuscules... Les émerveillements naissent inattendus et durent dans l'imprévu... Ce qui fâche dans la modernité c'est la manie des comparaisons et la haine des différences, comme si nous étions jumeaux de tout le monde et ne cherchions qu'à l'être davantage... L'ennui et le goût du meurtre naquirent un jour de l'uniformité, c'est à dire de n'avoir qu'un mot où il en faudrait mille... | ||