Au
pied d'une croix dressée vers 1830 des personnages moulés grandeur
nature: la Vierge, Marie-Madeleine, Saint Jean, un centurion romain. En
plein XIXème siècle se télescopent deux mille cinq cent ans de
sculpture, pour l'éducation et la santé spirituelle de quelques paysans
normands. Les mains croisées de la vierge sont assez grossières et
s'appuient sur les plis gothiques de sa robe. Gothique encore la
chevelure de Marie-Madeleine et son visage à la fois charnel et
angélique. Le centurion aux mains coupées sort tout droit du théâtre
classique et copie les comédiens du grand siècle ou l'idée qu'on
pouvait s'en faire il y a cent cinquante ans. La surprise viendrait
plutôt du visage de la vierge. Le même artisan qui lui fait les mains
décide pour la tête. Comment faire noble, "virginal" et douloureux à la
fois? C'est facile, on fait un moulage de statue grecque du quatrième
siècle avant J-C, on pose le visage dans un drapé du quatorzième
siècle, on copie en vitesse les mains croisées d'un modèle pas cher.
Voilà pour l'édification des braves gens de la campagne. Eux-mêmes se
dépèchent d'intégrer de la couleur locale en posant les "statues" sur
des socles irréguliers de silex et de chaux, puis ils sacralisent
l'endroit en l'ennoblissant d'une grille protectrice comme autour d'une
maison de maître. Quelques mauvaises langues diraient que la grille
enferme cette religion dans un espace limité qui ne risque en aucun cas
d'empiéter sur le trajet des piliers de bistrot d'en face. Chacun chez
soi. C'est ainsi qu'avant la télé, Athènes, Rome, Notre-Dame de Paris,
Corneille, le cidre les dominos et les paysans faisaient bon ménage. A
charge pour Dieu de reconnaître les siens.... |