Michel BRUNEAU a construit un site fantastique sur le jeu d'échecs : ( www.chess-theory.com ). Son érudition, son enthousiasme, la place qu'il donne aux artistes, la clarté de ses exposés, en un mot le partage généreux de ses passions, tout dans ce site mérite la sympathie et la visite.

Les pièces du jeu d'échecs sont de toutes factures. Industrielles, artisanales, de cristal, de pierres dures, d'or ou d'argent, de bois précieux, de grande ou de petite taille... On en sculpte depuis des millénaires. Il en existe des collections formidables pour le plus grand bonheur des antiquaires et des amateurs. Je n'ai pas cette chance, alors je suis allé dans le premier bazar venu pour acheter un plateau et une boîte de pièces ordinaires et j'ai essayé de voir ce que je pouvais faire.

Ce n'est pas la première fois que je photographie de petits objets dans un espace réduit. "Le Livre des Poires", vers 1990-95, m'avait propulsé dans un univers bien particulier. Mais les poires sont des êtres vivants, leurs formes sont cosmiques, en phase avec les lois de la pesanteur et de la biologie, signes de santé et de présence. Elles évoluent après la cueillette, vieillissent etc... il n'était pas très difficile d'en faire des métaphores. Elles fonctionnaient comme des acteurs de paraboles, à mi-chemin entre la sculpture et le théâtre. Les pièces de bois, noires ou blanches, sont infiniment plus simples. Leurs épidermes ne présentent rien d'autre qu'une aptitude répétitive au reflet. Les formes sont plus frustes à mesure qu'on s'en rapproche : les entailles, les rainures sont grossières sous la loupe. Elles ne laissent rien sortir de l'intérieur. Dans un premier temps on est déçu. Puis on se rend compte qu'il faut commencer une partie pour donner du relief et de l'importance à ces morceaux de bois. Le jeu est d'abord une affaire de mouvement. Mais c'est aussi une mémoire, celle des rencontres anciennes qui remontent à la conscience sous la forme d'images au relief déformé par l'action... Il y a donc d'étranges perspectives qui suivent les pentes des souvenirs et les déformations de la subjectivité. Ce qui veut dire que le pire des choix consiste à ranger les pièces sur l'échiquier puis à les regarder sans état d'âme à vol d'oiseau. J'ai donc essayé de me raconter quelques histoires, les règles du jeu n'étant pas le sujet. On verra ensuite.