Le huit mai 1945 au soir, carottes cuites... Une vendetta commencée bien avant juin 1914 cesse faute de combattants. Ce qui reste de cervelles en Europe s'apprête à faire la vaisselle au milieu des ruines, se demandant qui va lui tirer dans le dos... Je n'aime pas l'année de ma naissance... La France qui m'apprenait à lire avait un air de mourant qui dicte ses dernières volontés... Je n'en ai pas perdu une miette... Cette France des livres et de la langue est large comme deux fois les amériques et trois fois les océans du globe ... Celle des supermarchés et de la culture de masse remue plutôt comme chenille ou mouche bleue sur le veau d'or. Pour des horizons et des perspectives nous devrons changer de continent, c'est à dire d'Europe. J'ai déjà brûlé quelques vieilles cartes du monde, j'en ai de nouvelles qui m'étonnent... La vieille dame efface les rides de ses frontières, s'habille en bleu, s'offre des libertés que Bonaparte aurait refusées en famille. Les lendemains de liftings sont douloureux mais prometteurs de cabrioles et de caresses inespérées... Enfin, telle est l'Europe des ambassadeurs de charme...
Mes vieux livres me disent autre chose... Il fallait avoir les pieds sur terre si l'on était roi : les Capétiens furent prudents quand il fallut d'un panier de crabes, de peuples, de langues et de coutumes faire un jardin à la Le Nôtre... Charles-Quint ne vit pas le soleil se coucher, mais de Rocroi (1642) à 1814 personne ne s'offrit un bout de gras sur le pré-carré français... On construisit de petits Versailles et on parla français du Rhin à l'Oural... L'Europe se faisant belle, doit savoir où poser les pieds, se débarrasser des mal élevés et des vérolés... Il faut choisir entre la goinfrerie et le plaisir de la conversation. Que savons nous des Turcs? Les Arabes vous diront que c'étaient des maîtres impitoyables, qu'on risquait sa tête de l'Egypte au Liban en regardant un turc dans les yeux, que c'est grâce au traité de Versailles qu'on put enseigner l'arabe ailleurs que dans les mosquées... S'ils sont honnêtes ils confesseront que les colonisateurs anglais et français furent des anges à côté des janissaires... Les Turcs ne sont pas nés de la dernière pluie, leur empire tenait debout depuis 1453 quand ils choisirent de s'allier aux allemands de 1914. Je n'aurai pas donné cher des grecs, de l'égypte et des arabes si, comme prévu sur le papier, la France et l'Angleterre avaient été battues en trois mois. Ne jamais oublier les Dardanelles... Depuis les années vingt la Turquie s'est ramassée sur elle-même, jurant mais un peu tard qu'on ne l'y prendrait plus... comprenez que cette belle ne couche qu'après de justes noces et à condition que le marié rapporte gros... Ce n'est pas ce qu'on appelle une vierge pure ...
L'Europe avec les Turcs se prépare des confidences sur l'oreiller dont elle a perdu les secrets. Nous n'en sommes qu'au début de longues fiançailles... et furieuses scènes de ménage, auprès desquelles nos aigreurs anglaises, nos bouderies allemandes, nos écarts italiens, nos engueulades espagnoles, nos peaux de bananes bataves ne sont rien. L'Islam dans cette affaire ne sera que la vaisselle jetée dans la cuisine... La vérité c'est que depuis six cents ans nous avons botté les fesses de Byzance et que nous lui ouvrons les portes de nos chambres à coucher en exigeant qu'elle prenne des patins pour se mettre à poil...
