Les
Voeux ( 4)
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................................L'Education est la grande affaire des classes moyennes. C'est qu'il s'agit de se reproduire et si possible en mieux. Or les temps sont difficiles. Le marché des stupéfiants n'en finit pas de s'étendre, les femmes ont du mal à se faire respecter, on n'est plus certain de savoir lire avec le baccalauréat...Tels sont quelques uns des malheurs du monde, sur une liste que les grincheux rallongent à plus soif. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Mais on sait que lorsque les pédagogues montent sur les planches, on a fini de rigoler. Ce fut le cas pendant les guerres de religion. Les vingt ans qui précèdent la décollation de Louis XVI débordent de poésie didactique. Grâce aux hussards de la république les fosses communes et les tranchées se remplirent de paysans qui avaient su l'orthographe et l'instruction civique. Il faut dire que le peuple se rebiffe. Figurez-vous que la jeunesse des banlieues et des campagnes perdues a découvert le Plaisir. Quand ils sont petits on les gave de sucre, de frites, de poulets à 4 euros et de chocolats. On les laisse choisir, ces petits princes à qui, jadis, on offrait une orange le jour de Noël, à condition qu'elle reste sage sur la cheminée. Quand ils sont un peu plus grands on ne les fesse pas, car ils disent à la télé qu'en Suède c'est un crime qui vous mène au tribunal... Un candidat à la Présidence de la République s'est excusé d'une petite tape à un gavroche qui lui faisait la poche. Les enfants du Peuple ont droit aux mêmes égards que Louis le Bien Aimé au même âge. Quand vient la puberté il n'est plus question d'interdire les amours naissantes. Les couloirs de lycée abritent souvent des études plus intéressantes que les tirades de Polyeucte ou les imprécations de Chimène. Il faut que les jeunes esprits aillent à la découverte d'eux-mêmes et qu'importent la grammaire et les livres pourvu qu'on ait l'ivresse... L'espérance de vie augmente. On a le temps . Une armée de médecins, de psychologues, de pédagogues, veille au grain pour que vers la trentaine ces générations entretenues dans la connaissance de soi commencent à s'occuper du monde. L'ennui guette aussi les jeunes pauvres, c'est le seul ennemi qu'ils ont à combattre sous l'oeil inquiet des adultes aux prises avec les joies ancestrales des fins de mois pénibles. A défaut de sciences, de lettres et d'exemples désintéressés, ils comprennent vite qu'il faut de l'argent pour avoir des idées... C'est un raisonnement très bourgeois et même très aristocratique... Donc ils arrive à ces enfants du peuple qu'ils veuillent commencer là où commença la noblesse, l'arme à la main et au mépris des faibles. Ils arrive qu'instruits des détails du commerce mondial, ils se lancent dans les affaires et trafiquent d'armes et de drogues pour alimenter les paradis fiscaux et quelques banques suisses... Voilà comme on échappe à la vie lamentable des pauvres et qui permet, le temps d'une jeunesse, de rouler carrosse, de connaître les hommes autrement que dans les livres et d'avoir de belles filles dans son plumard. Les classes moyennes sont bien embêtées. Elles craignent la contagion pour leur progéniture. Les pédagos fourbissent toutes les armes qu'ils peuvent pour ramener le flot des indifférents au spectacle du monde. Ils font des équipes, des réunions, des concertations, des débats, des dialogues, des exercices, des sujets, des barèmes, des séminaires, etc... Donc ils se sentent moins seuls, c'est une bonne chose. Il ne manque dans leur arsenal que l'arme absolue des pêcheurs d'hommes : l'Index, cette faculté de mettre le doigt dans la plaie, de toucher la vraie misère du monde, de taper au front de la mort, de crever l'oeil de la bêtise, de prendre parti contre les hypocrites, les ignorants, les vendus et les petits saints. Il faut dire à leur décharge qu'ils sont là le plus souvent sur ordre de maman. Nous n'en sommes plus à nous demander quel monde viendra. Nous nous demandons quels enfants viennent à ce monde. En ce qui concerne les quelques pour cent de veinards qui naissent dans l'Olympe, ils n'ont aucun souci à se faire. Les maréchaux de l'Ancien Régime gardaient avec eux sur les champs de bataille des fils ou des neveux qui n'avaient pas douze ans. Les familles de la grande industrie, des finances et des médias font la même chose ou à peu près. Si les héritiers ont ce qu'il faut dans le citron on les garde près de soi et on ne les perd pas d'une semelle. S'ils sont inconséquents, on les cadenasse dans un environnement approprié et charmant. Le plus ingrat reste encore le mariage quand ils ont une forte tête. Mais ce n'est pas une affaire de pédagogue. |
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