|
Le Temps passe, amoureux de rien, parfois tué par la
cigarette.... Qu'en faisons-nous? Ce que nous savons faire depuis que nous
avons appris à casser les cailloux en deux ... Nous croissons et
nous multiplions pour le meilleur et pour le pire... Nous ne savons jamais
ce qui nous attend et nous savons rarement de quelle cuisse de Jupiter nous
sommes sortis. Aux alentours de la mort de Louis XVI chacun s'est dit qu'il
valait quelque chose, qu'il avait dans sa tête de quoi refaire le
monde , qu'il suffisait de couper tout ce qui dépasse pour que la
société nage dans le bonheur... On se souvient que la Place
de la Concorde débordait de sang frais et de sang caillé,
puait la charogne, que la machine à "élargir" ces
messieurs et ces dames couchait les corps sur une planche à bascule
et qu'entre deux ou trois battements de paupières les inégalités
tombaient dans un panier... Non sans honte puisque le bourreau giffla Charlotte
Corday, séparée de son tronc, et que la malheureuse rougit
des deux joues avant de s'éteindre complètement.... Ainsi
moururent les têtes humaines, disparaissant peu à peu des représentations
car cédant le passage à la fièvre des egos. Puis vinrent
au monde les zombies des romans fantastiques , les morts-vivants, les belles
de cimetières caressées par de pauvres moines ou des amants
cinglés vers 1830, toutes préfigurations des esclaves de la
mine de charbon, de la filature et de la finance... L'homme devenant carcasse,
corps sans tête et tête sans corps, le citoyen enclos dans l'individu,
artiste sans Apollon ni Soleil, poussé dans les cordes par les microbes,
vaccins, éprouvettes de toutes sortes bien plus performantes que
les cornues d'alchimistes ... Il fallut s'aimer, se comprendre, faire marcher
les balances... Dans les rêves les dieux ne rendaient plus visite.
Les diables, jadis cadenassés aux enfers, jouèrent de la lanterne
magique et du frisson, reléguèrent les âmes dans les
réserves du Far-West... les progrès de l'Inconscient suivirent
ceux de la mitrailleuse et puisque un seul doigt suffisait sur la gachette,
tout possesseur de main put ravager des enfilades d'ennemis, tout malade
put presser son jus, exprimer de l'ego à la mesure de ses indigestions
scolaires, construire ses chambres à gaz... l'homme simple fut accoucheur
de fulgurances, l'érection du matin fut prétexte à
métaphores, les reins de pucelles à métamorphoses de
l'absolu, voyages dans l'espace et divinisations de poils... Passé
le cap du chacun pour soi, vient celui du délire explicatif, du renversement
de la perception... Car les hommes sans tête ne voient que ce qu'ils
tripotent, se fuient comme jamais rivaux se détestèrent, rêvent
d'enculades plus géantes qu'au siège de Troie, devenus quadrupèdes
et fourmis du libre-échange, inlassables fourbisseurs d'inédits,
sculpteurs de crottes et propriétaires de droits à l'orgasme...
L'Art est devenu l'affaire des incapables de sciences, maladif, convulsif,
malin, résigné aux cuisines sociales, additifs, colorants,
caresses et orions... aux manies des obsédés de présent,
dépossédés de mémoire et voleurs de lendemains...
Dans ce monde où l'Etat est une ombre, le Peuple une chimère,
la Révolution un truc en plumes, les foules se manoeuvrent comme
des bancs de sardines où les désirs de chacun sont les désirs
des autres... Il y aura pourtant des anfractuosités, des cachettes,
des lieux invisibles où les hommes en prendront pour leur grade,
où de nouvelles apparitions serviront à d'autres mythologies,
où le bonheur sera d'être heureux comme Ulysse, soumis aux
caprices des vents puis rentré au port après un long voyage... |
|