LE MOUVEMENT PERPETUEL .... |
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La Nature n'est pas enfant de l'Amour. Il fallut de solides musculatures pour tailler des marches et casser moins de cruches au bord de l'eau. . Les marbres prennent des rondeurs quand on les trépane, des grâces sous les coups de maillets. Combien de charognes volées aux hyènes et aux vautours pour injecter du phosphore et des protéines dans les cervelles d'une bande de singes et combien de singes se sont mordus au sang pour tripoter des fesses plates aux parfums douteux ? .... Dix mille siècles pour descendre des arbres, prendre de la tournure, apprendre à chanter, compter sur ses doigts, faire briller ses yeux de malice, perdre suffisamment de poil et de queue ... Des millénaires pour se vêtir, tracer des chemins, faire tourner des roues, prendre soin des brebis et des chiens, cuire son fromage et son pain, entasser des souvenirs, se raconter des histoires, attirer les chats... Toutes inventions donnant de l'air aux copulations, facilitant les naissances , multipliant les cervelles et les jambes, quadrillant le monde, installant des divinités, bâtissant des temples et des palais, pour mourir moins souvent ou ne plus mourir du tout... L'important fut de ne pas revenir sur ses pas, d'être suffisamment fou pour nier l'évidence : nous ne sommes fils ni des dieux ni d'extra-terrestres en maraude... Nous ne sommes que notre invention, les produits de nos mains plus agiles et de nos lobes frontaux plus gonflés. La "Nature" comme disent les poussins philosophes n'est que matière première de nos croissances et excroissances; nos pistolets sont braqués sur ses "lois", nous lui raflons quelques codes secrets , lui vidons quelques livrets d'épargne. Mais la vieille maman a plus de têtes que l'hydre de Lerne et chaque fois que nous en cartonnons une, il en pousse autant que les doigts de nos mains... Notre cour de récréation nous sert de vaste monde, nos plaisirs sont à l'abri de nos poils, nos désirs sont ceux de nos voisins, nos besoins pressants finissent aux chiottes, nos amours éternels dans les fosses communes... Nos "amis" les animaux nous font de plus en plus de place sur la boule qui nous a vu naître. Nous lançons des fusées au-dessus des nuages, faisons tourner nos yeux au-dessus de nous; nous bricolons des centaines de plans d'évasion, nous avons des drogues et des psy pour faire de beaux rêves, pour bander à cent ans, des pompes à fric pour voir autrui en relief, des arrivées de chairs fraîches à tous les printemps... Il faut s'y résoudre, il n'y a qu'un monde, celui de nos jours et de nos nuits... Le reste n'est que chimères, fumée de sorciers, paroles de prêtres, psaumes de prophètes, histoires d'enchanteurs... Car dès que les cervelles s'agitent elles craignent les tortures : tant qu'il y a de la vie il y a du désespoir. Il faut à ces aventurières un bout du monde, une frontière et le mirage d'un autre champ de bataille , que soient lavés les linges sales, qu'il y ait des lumières éclatantes, des saints et des anges, des récompenses à la douleur, des fouets pour les méchants... Il y eut l'Olympe, l'Odyssées, la naissance d'Hercule, l'âme de César en route pour le ciel... L'aller et retour du Christ... Le sabre de Mahomet, son paradis de fontaines et d'eaux fraîches, ses régiments de vierges offerts aux justes .... Innombrables ont été les autres mondes... Ces carnavals ne sont plus que des fresques sous de vieilles coupoles, des pigments sur les tableaux fragiles, des fétiches dans les musées, des chaises pour faire tourner les tables... Aller au bout du Bien, des Sciences, de l'Humanité... Tel sera l'enfer d'un monde unique, inéchangeable et exponentiel... Pour s'en remettre, il faut se débarrasser des vieilles lunes... S'attaquer au langage... Affranchir les mots de l'esclavage... Corps, Liberté, Vérité... Ces baluchons de la vie ancienne étaient portés sur les épaules du Destin et de la Réalité... Ils sont vidés, dénaturés. Les corps se résument au sexe. La liberté crève d'ennui dans les recherches de "sens". La vérité rissole dans le fait-tout du Bien. La volonté et le désir sont pilotés par des ténèbres. Nous sommes vengés ou punis sans l'avoir voulu ni réclamé.... Pourquoi s'embarrasser de conscience ? Il suffira de laisser faire pour être soulagé, d'accuser l'océan de nous noyer, de laisser le monde installer ses salles de jeux, d'être attentif aux billes et aux martingales. La réalité sera insoluble et impénétrable, mystérieuse en totalité : on ne saura jamais si les jouissances du gain valent celles de la ruine. Il ne nous restera que des accidents, des chocs, des stupéfactions, des éclairs et pour finir, rien de rien.... |
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