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GOTHIQUES...
Quand on lève le nez, il arrive qu'on voie
d'autres choses que des nuages ou des mouettes, il faut redresser la
tête pour voir le Moyen-Age, ce qui n'est pas la moindre des victoires
des hommes de ce temps là. Les pierres qu'ils ont taillées sont si
proches du ciel qu'on ne comprend plus la raison de ces efforts . Nos
architectes qui manient plus souvent les chiffres que les choses et
moins souvent les hommes que les fonds publics, n'ont pas fini de
méditer sur cette aptitude à faire léger avec du lourd, à relier des
formes vivantes avec des proportions simples et en majesté...
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Les
hommes de cette époque ne dépassaient guère 1 m 55, ils avaient les
mollets solides, mangeaient des soupes et quelquefois du porc. Ils
buvaient des vins légers de l'année, plus souvent coupés d'eau que bien
conservés. Leur espérance de vie tournait autour de trente trois ans.
Presque tous naissaient à la campagne, étaient analphabètes, croyaient
de toute leur âme au Diable, à la Sainte Vierge, aux saints du Paradis
et au Jugement Dernier. Ces hommes, trois fois moins nombreux que nous,
mille fois moins savants, plus mortels que nous le seront jamais,
éclatèrent de vitalité, de réussite, de rythme et de finesse. Confiants
dans l'oeuvre de Dieu, confiants en eux-mêmes parce qu'ils se savaient
à l'image de Dieu, Ils se prirent d'une passion sans limite, celle
d'installer la Divinité dans des demeures plus humaines et plus
célestes à la fois que tout ce qu'on avait vu ou rêvé avant eux. Ils
travaillaient sans plans sur des chantiers de deux siècles ... Sans
mathématiques , au jugé, avec une espèce de sixième sens des
proportions et du style, ils faisaient monter les voûtes de pierre à 40
mètres, évidaient les murailles pour qu'une dentelle de roche laisse
des lumières bleues et rouges gicler dans l'édifice. Ils faisaient
descendre le Paradis sur Terre... |
Il fallait des sommes colossales, des
milliers de testaments sur six générations, pour que s'élèvent les
cathédrales . Cette énergie municipale et populaire en dit long sur la
puissance des analphabètes quand on compare ce qu'ils ont fait avec ce
que nos diplômés nous laissent en ville. Mon propos n'est pas de
nostalgie. Je ne fais que ressentir l'impact de ce qui est encore là.
Celui d'un volume dont l'extérieur montre la grâce collective des
hommes et dont l'intérieur traversé des lumières de l'arc-en-ciel,
conduit les coeurs avec des parfums d'encens aux portes d'un monde
meilleur. Tout grand seigneur, à genoux dans un pareil endroit, sentait
la volonté de Dieu peser sur ses épaules. La population entière d'une
petite ville s'y retrouvant à Noël ou à Pâques se voyait sans peine au
jour du jugement dernier. Quel bâtiment pourrait aujourd'hui donner une
si large sensation d'espace? On raconte que ces cathédrales
grouillaient de vie, que sur leur parvis on jouait des "Mystères" et
que notre théâtre y est né. Des capucins brandissant une tête de mort
montaient parfois en chaire pour menacer les vivants des supplices du
diable. En vain. On connaît des sermons vengeurs et inutiles où les
représentants de Dieu demandent aux prostituées qui raccolent, de le faire à l'extérieur... La vie ne
chasse pas la vie...
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On
dirait qu'avant l'imprimerie, avant que les instruits s'enferment dans
les lectures silencieuses, les hommes pensaient aussi avec leurs cinq
sens. La cathédrale est un espace de déambulation et de musique vocale,
une horloge lumineuse où le temps devient visible au fur et à mesure
que les lumières se réchauffent ou se refroidissent. Une humanité de
petite taille devait la trouver plus immense que nous, les prouesses
des maîtres maçons répondaient aux entrelacs des polyphonies sacrées
dans des proportions que nous sentons mal car nous sommes habitués aux
sons électroniques dans des espaces pauvres. Il y avait donc dans le
royaume de France une bonne centaine de lieux extraordinaires où le
peuple rassemblé allait et venait entre Ciel et terre...
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