Je me demande ce que voyaient les Egyptiens quand ils regardaient le soleil ou cueillaient des fleurs. Les Incas voyaient sûrement bien autre chose et les chinois aussi. La culture est une marinade qui baigne les hommes. Ils changent de goût en changeant d'épices... Quelque chose en France a duré de 1630 aux années soixante du vingtième siècle. On a su planter les choux et tailler les mots comme des diamants. Nos ennemis parlaient notre langue et nos amis avaient nos idées. Le miracle avait déjà eu lieu ( Marco polo raconte en français le "Devisement du Monde" ). Cette langue, cette littérature, ces chansons, sont les enfants d'une guerre civile permanente dans le froid, la boue, la crasse et la faim. On s'étrippe autour de Mazarin, on se fusille dans les Cévennes, des acharnements militaires laissent un quart des français sur le carreau entre 1680 et 1715... Louis le Bien-Aimé, spectateur de son règne, spécialiste de la paresse politique et des filles légères, meurt de la variole au moment où la sagesse le rattrappe. On connaît la suite:"Après moi le déluge..." La mort du "Tyran" qui devant l'échaffaud demande encore des nouvelles de La Pérouse, le Corse plutôt génial qui mangea toutes les grenouilles qui demandaient un roi. Trente années de paix par siècle c'était beaucoup demander et cette France qui fut aussi peuplée que la Russie, paysanne et patoisante à quarante kilomètres de l'Académie, tirait de ses douleurs les images les plus élégantes et les mots les plus justes pour dire la peine des hommes, la joie de vivre et les plaisirs de l'esprit...

Cette tulipe ferait un beau portrait du dix-huitième siècle, question d'élégance, de savoir vivre et de naturel. Je dois admettre que la sauvagerie a fait de sérieux progrès... Verdun, Hiroshima, Auschwitz, goulags, khmers rouges etc... Je me demande pourquoi les enfants de la vaccination et de l'automobile sont plus féroces que les soldats de Louis XV, pourquoi ces jeunes espoirs ont parfois les yeux voilés et les traits serrés des orphelins du rêve... Je constate que les bienfaiteurs de l'humanité sont inquiets, que les mères lavent du linge tous les jours, que les pédagogues usent leur santé et leur bon sens à tourner autour des "apprenants" rassasiés pour que ne manque pas une miette de lumières. Les partisans du Bien courent jusqu'à la ruine de l'autorité paternelle puis de l'autorité parentale, jusqu'à " l'association " obligatoire des mineurs aux décisions de leurs pères et mères. Ces coup de faux sous les pieds coïncident avec la confiscation de la culture, du patrimoine et de l'éducation par des diplômés...

Tout commence au jardin d'enfants. Vers deux ans pour être sensible à la qualité de l'environnement...le béton est vert... Pour guider l'imagination ... des constructions arrondies aux angles sont en plastiques de couleurs vives. Le vent, l'herbe, les chardons, les arbres, la rosée, les chenilles, les araignées et les fourmis, toutes ces vieilles lunes de l'enfance étant au placard, il reste pour apprendre la diversité du monde le sourire et la voix des puéricultrices... C'est la première étape d'une longue série d'apprentissages hygiéniques qui prépare les humains à "gérer" leurs désirs dans la chaleur communicative des métros. Le but de l'affaire c'est qu'ils soient capables d'exterminer leurs graines de violences et les plaisirs coupables. La Terre ne devrait-être qu'un zoo ou un jardin des plantes... Quand ils seront vieux et liftés, qu'ils auront ressuscité les mammouths et trahi toutes mémoires, il se pourrait qu'enfoncés dans leur cage, ils rêvent de boues et de guerres, de viols et de poignards, d'éclatantes revanches sur de faibles bonheurs. Leur temps finirait là où commença le Moyen-Age...