TOUTES LES SAISONS... | |
Dès qu'ils furent chassés du Paradis les hommes prirent le large avec leurs titres de propriété sous le bras. Ils se racontaient des bobards bibliques du genre " Dieu a dit que tout est à nous ", " Dieu a dit de labourer nos femmes et de nous multiplier comme des lapins " etc... Ces dévergondés de la Nature juraient qu'ils n'avaient rien de commun avec les animaux, qu'on leur avait promis la vie éternelle et d'autres sornettes, que les bêtes étaient stupides car incapables de chanter les louanges du Seigneur ou la grandeur d'Allah... Une fois qu'ils furent persuadés d'être le sel de la Terre, les singes sans poils taillèrent des pierres et plantèrent des fleurs pour dire aux générations qu'ils étaient au centre du monde et que la beauté des humains crevait le plafond de tous les spectacles... Ils se déguisèrent en dieux de la guerre ou déesses de l'amour, remplirent les sources de nymphes, les océans de sirènes, les jardins de statues... Tout César eut son portrait, tout petit saint son effigie, d'innombrables allégories vinrent au secours des saisons dans les parcs où l'on s'embarquait pour Cythère... | |
L'Eté.
Ducruet.2008.©.
|
|
Tant qu'ils eurent sous la main plus de bois que de fer, les hommes craignirent les diables. Ils se dirent qu'ils avaient l'enfer sous les pieds et le ciel au-dessus de leur tête. Ils surveillèrent de près les étoiles et les saisons à cause des inégalités du jour et de la nuit. Les chamans se méfiaient des crétins ordinaires, prenaient des herbes, des champignons et des breuvages amers pour sauter l'obstacle de la pesanteur et naviguer chez les esprits. Ils parlaient avec les bêtes la langue de tous les savoirs. Les dizaines de siècles ne les effrayaient pas et leurs précautions nous ont laissés aussi frais et juvéniles que des ruisseaux de montagne. Mais les étés ne durent qu'un temps et tous les sorciers ne sont pas sages. Ce que donnait la Nature était souvent repris : les femmes perdaient leurs charmes en quelques lunes, les costauds tombaient, les enfants perdaient leurs voix d'anges, les automnes éloignaient le Soleil et les articulations finissaient par être douloureuses. La recherche du Bonheur prit des allures de Raison et de chiffres, sous la forme d'une vis d'Archimède ou d'une machine à vapeur. | |
Le
Printemps. Ducruet.2008.©.
|
|
Il y eut tant de roues, de pompes, de fumées, d'avions, d'engrais, de canons et de gens instruits qu'on prit d'autres habitudes... pour que s'empiffrent les pauvres et se gavent les riches on élargit les villes aux quatre coins, les routes furent innombrables, les paniers montés sur roulettes et l'argent sortit des poches à la vitesse de la lumière... Jamais on ne vit des pauvres si gros... Les écoles regorgeaient d'élèves et les maîtres enseignaient le sourire... Les vaches suivaient à peine la demande de viande hâchée et les betteraves la consommation de sucre... Il y avait tant de musique dans les ascenseurs, de pilules dans les pharmacies et de drogues dans les boîtes, que les dieux semblaient vivre au milieu des hommes... Les centenaires furent nombreux et coriaces, les milliardaires furent congelés en prévision des progrès à venir, des âmes sensibles jetèrent les cendres de leur belle-mère au milieu des astéroïdes, on clona son chien avec ses puces et après de justes noces des mulets et des mules adoptèrent des zèbres... Les hommes ne s'étaient jamais distribué tant de caresses. | |
L'Automne.
Ducruet.2008.©.
|
|
L'abondance des graisses et l'envie de dormir durent tant que le pétrole coule dans les chaumières. Les rustres s'étant jetés sur tous les os de la création, ayant léché toutes les vitrines et saisi toutes les occasions d'enfler se trouvèrent fort dépourvus quand vint la bise... n'ayant d'autre famille que des écrans de fumée, d'autres distractions que les pirouettes des avions, les chansons et les culs importés de saisons anciennes, d'autre mémoire que le Père Noël en tutu et d'autre avenir que la sueur, les larmes et l'huile de coude pour faire pousser des radis. Comme dirait le Facteur: "Ce qu'il nous faut , c'est une bonne révolution à l'ancienne..." cet imbécile n'ayant pas vu grand chose car saurait que les poupées gonflables ne voient jamais le loup et que si l'on prend encore la Bastille, ce sera en studio. Couper des têtes? ramasser quelques pois-chiches?... Il faudrait du nouveau, un peu de cannibalisme, quelques bouc-émissaires de qualité, quelques têtes rasée, des institutrices défilant chez Dior, des descendants d'esclaves et de maîtres lâchés dans une arène sanglante, des couches-culottes obligatoires à l'Académie et mille mesures vexatoires pour en finir avec nos grandeurs et baisser indéfiniment les yeux. |
|
L'Hiver.
Ducruet.2008.©.
|
|