..........................Quelque chose a déménagé. Nos paysages ne sont plus habités que par des hommes. Sous nos pieds les cavernes ne risquent pas d'être les antichambres de l'enfer et je ne connais aucun poète prêt à suivre Virgile au huitième dessous d'une campagne romaine. Les nuages n'abritent plus les anges ni les dieux, à quoi bon regarder le ciel pour trouver des ressemblances ? Quelle femme à sa toilette peut échapper à la pesanteur et tromper son monde comme firent les nymphes et les fées ? Qui pourrait après un long voyage être heureux comme Ulysse...? La Sphinge n'attend plus sur la route de Thèbes... Ce n'est pas que nous manquions de destin, au contraire, mais nos illusions se font rares et nos rêves ne nous mènent pas loin.

......................... Nos voyages nous entraînent sur des routes à quatre voies bordées de téléphones et d'aires de repos. Ils nous coûtent la même chose qu'à tout le monde et nous sommes surveillés par des radars et des hélicoptères. Nous faisons en un jour le trajet que des marchands pressés faisaient en un mois à dos de mulet. Les enfants dorment dans nos voitures et s'ennuient quand ils se réveillent, c'est pourquoi nous y installons des écrans video qui passent des films d'action et des cartoons. Nos têtes blondes n'ont plus à supporter le défilement des paysages et pour quelques euros elles font les yeux ronds devant des poursuites dans le Bronx pendant que vous roulez en Touraine... Si vous branchez une console de jeux, le voyage peut durer plus longtemps parce que ni les villes ni personne ni rien ne peuvent les distraire. Des pédagogues vous diront que les syndicats d'initiative fournissent aux familles des videos qui laissent découvrir un quartier ou une région pendant qu'on les traverse. Il n'y a plus à chercher de stationnement, à descendre de voiture, à dépenser de l'argent dans les brasseries du centre ou les visites... à s'occuper sans arrêt des enfants.