art
Phobique (3) |
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La société nous prolonge la vie, nous déguise en humains, restreint nos peurs aux affaires courantes, nous offre les innombrables plaisirs de la circulation et des jeux encore plus variés. Elle nous éduque et nous emploie. Elle nous informe des partis que nous pouvons tirer du sexe et du langage. Elle nous signifie ce que nous sommes et nous aide à trouver l'endroit de notre dernière heure. Elle a des caméras partout, nous n'avons même plus besoin d'aller derrière l'horizon, c'est lui qui se rapproche de nous. Elle pose toutes les questions sur tous les sujets. Nous lui devons nos héritages et le peu de savoir vivre dont nous disposons. Nous pourrions penser que l'art est une expression supérieure de notre gratitude. | ||
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Cela ne veut pas dire que nous fermons les yeux sur les zones d'ombre. Au contraire. La gloire est un mot qui n'a pas de sens depuis longtemps. Le XXème siècle a démasqué toutes les impostures, montré tous les radeaux de la méduse, achevé toutes les dissections possibles, détruit les faux semblants qui empoisonnaient l'imagination à bon compte. Tel fut le travail des " artistes dégénérés". Comme si les oeuvres ne suffisaient pas, nous avons inventé la "Culture" et mobilisé des armées de commentateurs, des régiments d'universitaires, des kilomètres de vitrines pour que les privilèges des beaux esprits soient donnés à tout le monde. Les musées sont innombrables, les écoles d'art prospèrent, les revues s'étoffent. Il y a tant à voir qu'on ne sait plus où donner de la tête. Les artistes ayant épousé leur temps, ont appris à se vendre et surtout à se faire comprendre des professionnels de la communication. Il n'y a donc plus de secrets et l'art est un métier comme les autres. L'époque des bouffons est révolue, celle des individus frappés par le destin aussi. | |
S'il y a un domaine où l'axe du Bien fonctionne, c'est celui-là. Dans un monde organisé, l'art est à la place qui lui revient et joue le rôle qui est le sien : poétiser et raconter cette organisation. Se mettre au service des masses, ou s'il n'y en a pas les inventer, en tout cas baliser le social des repères indispensables à son exhibition. L'art doit tuer la peur et dévitaliser l'agressivité au profit d'une conscience citoyenne et d'un partage constant des douleurs. Les miroirs se montrent aux miroirs... Le système est au point, indéfiniment extensible et productif, indéfiniment évènementiel, idéologue pour lui-même, exportable de la maternelle à la maison de retraite. Généreux avec les institutrices, soupçonneux envers les distraits... | ||
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Ducruet.Phobie
or
not
Phobie.
Huile. 2002. |
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..................................... La peinture à deux dimensions n'est que peinture. Elle n'est jamais obscène et pour cause. Elle pousse le regard du côté de l'esprit plus que des discours, torpille les excès pédagogiques et rhéthoriques . C'est une arme de choix contre les trivialités, les invasions ordinaires de la morale et du " bien pensant ", l' emprise des producteurs d'objets. Elle s'accommode de l'anonymat. On la trouve où passent les chemins de la spiritualité, loin des entrepôts...J'ai l'impression qu'au lieu de faire le tour des problèmes et l'inventaire inépuisable de toutes les péripéties de la vie cérébrale et charnelle, nous sommes éperdument désireux de quitter la ville pour la forêt, que nous cherchons à être les primitifs d'un monde où les écrits ne resteront pas sur le podium, où les images seront volatiles, où l'enfance sera solide, la mémoire vive, le silence fréquent et le rire à portée de main. Puisque la société nous protège au point de nous empêcher le trouble de penser et la peine de vivre, l'art peut se débrouiller là où les individus cultivent d'autres jardins que les jardins publics. L'art Phobique ne serait alors que l'art vivant, l'autre, celui des hyperactifs, deviendrait l'art des fous...SUITE | ||