L'AVENIR DES TOMATES ... (12)
     
têtes coupées, tableau rond. huile sur toile.  verneusses. michel ducruet
Ducruet.2008.©
     
 

Cette roue tournait sur elle-même avec un effet de bielle qui faisait monter et descendre les têtes. Elle décrivait une circonférence parfaite d'une quinzaine de mètres de diamètre. Les visages étaient grandeur nature. Seules bougeaient les paupières, il ne sortait aucun son des lèvres. A mesure que le disque tournait les têtes prenaient de la couleur et se différentiaient. François remarqua d'imperceptibles frémissements aux commissures des lèvres. David avait l'impression que les cous ébauchaient des mouvements de rotation. Ali était subjugué par de petits éclairs dans les pupilles. Ces visiteuses se passaient des informations. Au septième tour le disque s'arrêta. Le collier de David se mit à grésiller... 2279-SOS-2279-TOMATOE... La combinaison reprenait avec plus ou moins de netteté, comme une clé qui n'arrive pas à tourner complètement. Il manquait quelque chose... " On cherche à nous joindre..." Ali copiait sur son cahier, tournait le page dans tous les sens, construisit un carré de vingt petits carreaux sur vingt. Il avait toujours eu des facilités pour déchiffrer les codes, trouver les bonnes combinaisons, reconstituer les phrases incomplètes. Le collier clignotait à une de ses extrémités. Un point rouge était apparu puis un rayon qui dessinait sur les fresques ou sur le fond blanc, qui semblait à la recherche de quelque chose. David s'aperçut que le collier s'ouvrait de lui-même. Il le posa sur le sol vis à vis du disque immobile.

Rien ne se passa. Le rayon faisait des huit comme un automate, suivant indéfiniment le même tracé. " La machine ne marche pas. Ce truc est déréglé. Pour peu que la sortie le soit aussi nous serons pris au piège." François n'était pas du genre rêveur et les deux autres se contentèrent de baisser la tête en guise de réponse. Ali fixait le disque aux têtes coupées. David ne détachait plus ses yeux du rayon qui faisait ses huit sur le mur. Le collier ne grésillait plus. Le signal s'était arrêté. Le silence était à couper au couteau. François se rallongea. Le sommeil lui piquait les yeux. Ali se rapprocha du disque. Un sifflement très léger se produisit et le disque devint plus lumineux puis si brillant que les figures disparurent et il s'émietta en gouttes de lumière et il disparut. " C'est bon signe , ça" dit David, puis voyant qu'il ne se passait plus rien, il s'allongea à son tour et ferma les yeux... Ali regardait ses compagnons endormis, ses pensées se suivaient dans le désordre, il n'arrivait plus à raisonner. Des scènes colorées défilaient dans son crâne, il fonçait à toute vitesse dans des paysages indéfinissables sous des nuages violets et oranges, il prenait des virages dans des brouillards rouges. il n'avait pas peur, il faisait une totale confiance à son aventure. Il arrivait que de temps en temps il sentait son corps, mais il ne se posait aucune question. Il avait compris que son destin avait pris les commandes et qu'il n'avait plus qu'à obéir aux ordres. La vitesse suffisait à tout. Il ne pesait plus rien. Il se retourna. Les deux autres dormaient sur le sol blanc. Il vit un corps allongé près d'eux, il fronça les sourcils et vit que ce corps ne lui était pas étranger, il vit distinctement qu'il dormait à point fermé et se rapprocha de cette image et s'allongea près de son sosie et doucement, comme on rentre dans un duvet "sarcophage" il se glissa dans ce corps qui était lui et se sentit bien quand sa tête récupéra son image. La lenteur prit le dessus, les nuages, les précipices, les virages furent dissous dans une blancheur, tout devint tiède et reposant.

Les trois hommes gisaient sans raideur. Ils avaient les yeux fermés. A l'endroit où le disque de têtes coupées s'était montré pour la première fois, il se fit un renflement sur le sol puis une bulle géante qui se fendit en haut sans bruit. Une forme verte se fit un passage puis cette forme prit ses aises, se donna des rondeurs et toutes les apparences d'une tomate géante. Elle tournait sur elle-même comme une planète. Le collier de métal fit de son côté une légère rotation et le rayon rouge s'arrêta net. Le grésillement reprit imperceptible. "2279-TOMATOE-2280-TOMATOE-2281." Les trois hommes dormaient à poings fermés, les jambes repliées, couchés sur le côté... Le fruit monstreux s'éleva d'un demi mètre, tourna deux fois autour des corps puis s'éleva d'une hauteur d'homme, se mit au zénith et commença à tourner sur lui même de plus en plus vite en silence. Il devint une boule verte, translucide. animée de pulsations, puis une tache apparut au centre, elle grandit puis une autre à son tour, puis une troisième... Ces ombres s'allongèrent puis se mirent à la verticale. Des silhouettes humaines se modelèrent avec des ondulations, puis un chant à trois voix partit du globe... S'ils avaient gardé les yeux ouverts, David et François auraient vu descendre les silhouettes, leurs pieds toucher le sol sans bruit. Ils auraient à peine remarqué les vibrations de leurs hanches et les secousses de leurs chevelures. Ils auraient vu que ces ombres sans visage se couchaient en position rigoureusement symétriques des leurs, puis qu'elles les recouvraient comme des moules épousant exactement leur relief et qu'elles fondaient sur eux-mêmes, qu'ils ne ressentaient ni douleur ni surprise...

 
     
     
     
tomate verte, photo michel ducruet, 2008
Ducruet.2008.©
     
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