MORTS DANS L'AME .... | ||
Ducruet.©.2005. |
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Les ombrages deviennent si frais que les feuilles tombent et pourrissent, que des branches cassent, que des buissons prennent de l'arrogance ... Le désordre s'installe où des religieuses en surnombre soignaient les allées et les vieillards... C'était l'antichambre de la mort, une maternité à l'envers où l'on priait la vierge d'abréger les souffrances et d'aider au retour avec les ancêtres. Quelques vieilles dames coulèrent ici des jours tranquilles, visitées par les merles du quartier, nourries à heures fixes, chauffées l'hiver et trottant jusqu'à la grille s'il faisait beau en août. La pelouse tondue court à cause des chutes éventuelles, donnait de l'espace et un air de château à cette demeure bourgeoise, faisait un parterre aristocratique au va et vient des bonnes soeurs en tablier blanc. Les dernières pensionnaires avaient dû naître avant quatorze. Les chambres avaient des parquets de chêne à l'ancienne, des plafonds hauts, des papiers peints disparus des catalogues. Les cuisines à carreaux bleus et blancs, très "Larousse Ménager", dégageaient cette odeur indéfinissable des cuisines de pensionnat ou d'hôpital, à l'époque où l'on épluchait encore les légumes pour faire la soupe... | ||
Ducruet.©.2005. |
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L'industrie du quatrième âge est en route, pour le meilleur ou le pire des mondes... Vraisemblablement les deux à la fois. Jadis les religieuses glanaient des testaments. Les âmes inquiètes savaient qu'un chameau ne passe pas par le trou d'une aiguille... les plus riches laissaient opportunément au vestiaire quelques signes de richesse... Tout notable ayant à se faire pardonner des amours coupables, faire dire des messes pour son repos éternel, se devait de comparaître devant Saint-Pierre les mains un peu vides et presque propres... Miracle de la confession et de la frousse, le riche en chemise de nuit et à l'article de la mort faisait amende honorable... et qui sait?... Miracle de lucidité et de compassion... La modernité se fiche bien des miracles. La pyramide des âges parle pour elle : le recyclage des vieux est aussi prometteur que celui des déchets. Les progrès des transports, des télécommunications et des services vont permettre de "produire en masse" et de globaliser le traitement des personnes âgées. Il est vraisemblable que pour des raisons de productivité et d'efficacité, on pourra construire des quartiers, des "villes" ou des agglomérations internationales du troisième et du quatrième âge, entièrement ouvertes aux services de loisir et de santé... Des normes sanitaires et sociales rigoureuses devraient aider à la génération d'énormes bassins d'emploi, plus solides que ceux du tourisme car dotés d'une clientèle captive... Dans un contexte d'individualisation de la vie, de collectivisation des patrimoines, de flexibilité totale de la main d'oeuvre et de l'institution familiale, il faudra veiller à ce que le parc des vieux disposant de moyens économiques, soit relancé en permanence et protégé des contingences extérieures... Les services liès à l'enfance et à la jeunesse étant saturés et sensibles à l'effondrement démographique, les pompes à finances doivent plonger de l'autre côté de la vie humaine... L'orientation de la recherche fondamentale vers le recul de l'âge et la persistance d'apparences flatteuses promet aussi d'énormes valeurs ajoutées. L'utilisation à grande échelle des cellules souches règlera la pénible question de la dentisterie, du ralentissement sexuel et de la lombalgie chronique... Le transfert des activités culturelles devrait permettre de placer dans la longue durée l'exploitation des fonds musicaux et cinématographiques délaissés par les juniors... Le report sur une centaine d'années de l'effondrement du livre est envisageable, comme le glissement vers l'équilibre autophage de la société, c'est à dire une collectivité dont la raison d'être serait qu'une moitié soigne l'autre qui dépense pour se soigner... avec un petit noyau hyperactif de producteurs d'énergie, de technologies de remplacement et de nourriture... Tout cela en attendant la solution finale du surpeuplement planétaire qui pourrait s'effectuer par implosion et permettrait de supporter les dérèglements des climats. Il n'est pas déraisonnable de situer vers 2150 le rétablissement de l'humanité dans la fourchette des deux cent à trois cent millions d'individus, complètement métissés et disposant d'une telle abondance matérielle et culturelle que le risque d'un redémarrage incontrôlé du processus démographique paraît exclu... d'autant plus qu'une pratique séculaire des contôles électroniques individuels rendra la déviance improbable. On pourra enfin parler d'un village planétaire et envisager dans le calme un voyage de l'humanité vers quelques planètes amies... |
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Ducruet.©.1989. |
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