.....................J'aime les villages. Vous aussi. Ils nous font rêver d'une vie meilleure. Mais je dois vous confier que je me méfie des vies meilleures... Je ne parle pas de " l'Au-delà " qui sert à détourner l'eau qui passe sous les ponts... je pense aux mirages qui laissent voir des palmiers dans le désert, aux voitures qui troublent les belles filles dans les pubs, aux promesses des plats tout préparés et à tous les signes marchands du bonheur...

.....................Les villages n'existent plus. Je parle des villages qui se ressemblèrent, d'avant Jeanne d'Arc jusqu'aux années cinquante du vingtième siècle. Les villages de paysans, avec un homme de Dieu, beaucoup de savoirs et d'ignorances mêlés, une farouche capacité de survie, deux ou trois artisans du fer, du bois, de la pierre et du feu... Ces villages sont encore visibles dans les cimetières, en creux sur les pierres tombales, disparaissant au fur et à mesure que les intempéries font s'évanouir les fleurs et les couronnes... Ils sont si morts que les films de Pagnol ressemblent à des documentaires, qu'entre la "Manon des sources" de claude Berri et l'original en noir et blanc il y a autant de différence qu'entre le onze septembre 2001 et le quatorze juillet 1789... Tant il est vrai que le Passé n'est pas l'Histoire et qu'on le lâche dans des proportions inouïes... Lui parfois nous rattrappe mais nous n'y pouvons rien. Les historiens vous diraient que les conscrits de Napoléon ne s'occupèrent pas des guerres de Louis Quatorze et que les instituteurs de Jules Ferry furent loin d'imaginer qu'une moitié de la France sut lire grâce aux pasteurs et curés de villages.

.....................Les objets ont la vie dure. Pas seulement les outils qui finissent au musée, chez les brocanteurs ou à contresens dans un intérieur citadin. Les maisons vivent deux, trois ou quatre cents ans, parfois plus, quelques fois moins. On y aime, on y dort, mange, fait des enfants, rêve et vieillit sans s'occuper de ceux qui firent de même en cet endroit... Elles nous fixent, nous confèrent une adresse, un lieu de naissance... Nous y installons nos lits de plaisirs ou de douleurs sans savoir ce qui nous pend au nez... Certaines sont imprégnées de vies antérieures, portent chance ou malheur. Il y en a qui gardent quelques fantômes et d'autres quelques trésors... Lorsqu'on habite un village on marche sur les traces de dix ou vingt générations et on s'abrite des orages dans leurs murs. Ce n'est pas là qu'on fait table rase du passé... Les dictatures ont horreur des villages, c'est bien connu. Il est possible que notre attirance pour ces fossiles soit proportionnelle à notre répulsion pour les apprentis sorciers. Il est drôle de constater que si les rues de villages sont tortueuses, pentues, imprévisibles, les vies qu'on y mène sont plutôt sages et désireuses de lenteur. Inversement les plans rigoureux et les feux tricolores des grandes villes suggèrent toutes les divagations, ne prédisposent ni aux fidélités ni aux méditations...

.....................Les paysans sont à l'écart, les idiots de village ont disparu, les chiens sont de race, les poulets ne traînent plus, le fumier s'achète dans des sacs en plastique, les cloches sonnent toutes seules, l'école ne fait pas de bruit à la récréation... Jamais les maisons n'ont été si belles, si chauffées, les volets si repeints et les toits si neufs... Il y a des artistes, des étrangers, des femmes du monde et autres spécimens bien élevés, des sportifs, des artisans, une auberge, des professeurs, des écrivains, des journalistes, des retraités, quelques chômeurs rmistes... Tout un monde de transfuges aux compétences variées qui relancent une vie nouvelle où disparut l'ancienne... Internet, coupoles et bouquet numériques... Le village survit aux guerres mondiales, aux usines et aux médias... Qui dit mieux?