Sans
rire, la vie est une partie qui dure plus ou moins longtemps, où
l'on choisit parfois d'être blanc ou noir, où les matches
nuls sont aussi impossibles que les revanches et où les joueurs
savent dès l'enfance s'ils ont le goût du jeu. Mais il arrive
que, manoeuvrant des pièces, la Mort soit irrégulière,
donne l'impression de cafouiller, qu'on ait l'impression de gagner du
temps et de prendre l'avantage, qu'en tentant le diable on lui rafle sa
Reine et s'approche de son Roi. Le plaisir qui consiste à
jouer contre la Mort vient de ce qu'elle semble étourdie
de ce qu'on lui fait et résignée à prendre des coups.
Voilà pourquoi les années se terminent, qu'ont lieu les
banquets de la Saint-Sylvestre, que les rescapés s'embrassent au
gui l'an neuf, se distribuant des voeux. C'est évidemment se jeter
de la poudre aux yeux, mais comment prolonger la partie?
Si c'était possible, je croiserais les doigts pour que nous ne
manquions ni de chefs-d'oeuvres ni de personnes remarquables. J'inventerais
une machine à grains de sable pour que déraillent les trains-trains
de l'inexistence. J'aimerais qu'on ne trouve plus d'explications à
quoi que ce soit. Mais pour que naissent les chefs-d'oeuvre il faut du
sang et des larmes, que les fenêtres et les caves soient éventrées,
que vivent aussi les indésirables et qu'il n'y ait d'autres issues
que de s'évader par les toits. On dirait qu'en France il y a dans
l'air suffisamment de grains de sables et de vent pour qu'on y réinvente
de quoi rire et pleurer sur toute la Terre... Ce qu'il y a d'intéressant
c'est que nous sommes pires que les autres quand nous sommes mauvais et
que nous sommes les meilleurs quand nous sommes bons. Pourquoi désespérer
du pays de Houellebecq ?... |