VOIR VOIR..... | |
Nous passons notre temps à regarder. La vie a des entractes, des files d'attentes, des réservations, des minutes extraordinaires et des secondes qui restent. Nous sommes nés pour le spectacle et notre plaisir consiste à être là au bon moment. On dirait que nous avons déjà vécu dans un monde meilleur et que nous cherchons les occasions d'y retourner. Le jour ne suffit pas. Nous avons besoin des rêves pour voir mieux. Après de longs voyages ou de perpétuels recommencements nous finissons par comprendre ce que nous aurions dû savoir le jour de notre naisssance: nous sommes riches de souvenirs et c'est le maximum. |
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Nous
les emportons dans la tombe. Nos parents et nos amis les bloquent sous
la pierre quand ils ne décident pas de les faire partir en fumée...
C'est que les vivants supportent difficilement les morts. Ils veulent
évidemment se faire quelques plaisirs, réinventer l'eau
tiède en ayant l'air d'être les premiers. C'est qu'il est
douloureux de parler une langue qui vient de si loin, de caresser les
filles comme on le fit à Pompeï, de renifler comme son grand-père
et de péter comme son oncle. Mais nous ne sommes pas des bêtes,
nous avons mis au point des astuces infaillibles pour que notre progéniture
visite nos cimetières sans y mettre les pieds. |
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En
principe les poètes n'ont pas de honte. Ils baisent à l'oeil
ou se font inviter. Ce ne sont pas les plus recommandables des hommes
et c'est pour cette raison que la plupart des femmes leur veulent du bien.
Ils ont des souvenirs à revendre et chaque fois qu'ils arrangent
des phrases, leurs mots débordent de mémoire, font de la
musique et caressent la tête. On voudrait leur prendre. Mais ils
ne les donnent pas au premier venu. Il faut apprendre à lire, connaître
toute l'horlogerie de la langue, faire la part du toc et de l'or pur.
J'en connais un qui dit aux femmes:" Voulez-vous des colifichets?
" Les ignorantes passent à la trappe... |
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Il faut s'habiller pour sortir de la tombe. Le monde nous rend invisible quand nous le laissons faire. Si nous n'avons que des bagages de chez Vuitton, nous prenons le risque de ne parler qu'à la radio ou de ne paraître qu'à la télé. Le mieux , les naïfs seront étonnés, c'est de paraître là où personne ne médiatise. Nous avons des instincts, les retrouver donne à vivre. Les habiller rend l'homme à lui-même. C'est l'odeur des âmes. Il arrive que le fumet des cadavres cède à la sueur des hommes. Il arrive que des bouts de chiffons soient plus visibles que les bannières et les oriflammes, qu'une manière de risquer sa peau ridiculise les funérailles. |
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Les
plus rapides des trompe-la-mort couvrent les murailles de couleurs et
de lignes qu'ils prennent dans les recoins de l'enfance ou qu'ils sortent
du ventre de la Terre. Ils placent de l'esprit dans les choses. Ils cassent
les symétries parce qu'ils préfèrent les arcs-en
ciel aux arcs de triomphe. Ils attirent l'oeil là où les
mots fatiguent. Ils expédient les siècles en centièmes
de seconde, tambouillent pour les affamés de la seconde chance.
On ne dira jamais assez que la Peinture jette les orateurs aux orties,
les philosophes à l'école, les amnésiques aux chiottes. |
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