....................Les choses ne sont pas très simples. Dans l'histoire de la photographie, ce sont les objets qui les premiers ont servi de modèles. Des plâtres de sculptures antiques, des armes, un lièvre, quelques perdrix sur une desserte à gibier, voilà de quoi faire un beau daguerréotype. Ce n'est pas l'amour effréné des choses qui leur a donné la première place, c'est le temps effroyablement long qu'il fallait pour faire un cliché.

Cette obligation de patience trouve son aboutissement dans la photographie de studio, dans la masse phénoménale des clichés commerciaux et publicitaires, ceux qui constituent le décor de notre monde. Pour que les clients les plus exigeants ne trouvent rien à redire sur des photos de pizzas ou de caramels, on a construit de fabuleux outils de travail au service des entreprises. Cette qualité professionnelle, ce dévouement religieux à la marchandise font qu'on ne peut plus séparer les objets des fantasmes. Une perceuse, un tuyau d'arrosage ne percent bien ou n'arrosent bien qu'entre les mains très manucurées d'une femme un peu nue... Je n'imagine plus qu'une balance fonctionne, qu'une eau minérale désaltère, qu'un café réchauffe sans que du sexe ne soit dans le voisinage. Cet accompagnateur tient la place que prenaient les inévitables têtes de mort dans les vanités anciennes. Mais avec naïveté, franche inculture, les "artistes" qui les emploient s'imaginent que le cul est divin, que maman s'occupe d'absolu, que les belles extasiées font les lendemains qui chantent. Quelles mères abusives ont élevé ces photographes de l'appétit, ces fournisseurs de consolations ?...

La nature-morte n'est pas la mise en extase des marchandises. C'est plutôt une partie d'échecs. Une fois qu'on s'est débarrassé de la Bible et du Marché, donc de la tête de mort et de l'éternelle pute, il ne reste que des espaces incertains, des chemins que personne n'entretient, une continuelle et fatigante recherche de combinaisons, la construction de monuments indéfinis pour des visiteurs incertains. Si on arrive à rester sur la lame de rasoir des apparences, surgit un autre monde...