Lettres posthumes ...
 
 
masque venitien-venetian mask-photo michel ducruet nains de jardin-photo michel ducruet-2010
Ducruet.1995-2010.© . Comedia.
 

C'est fait. Je suis mort. Mes douleurs sont parties, je peux tourner la tête de tous les côtés. Je vais où je veux, j'y vois aussi bien le jour que la nuit, je suis léger. Cela fait des années que je ne me suis pas senti aussi bien, comme dans les rêves où je volais plus haut que les hirondelles. Je ne transpire plus, je n'ai pas froid ni faim ni soif. Est-ce que je suis seul ? Je n'en sais rien, il me semble que des gens vont et viennent mais comme il n'y a pas de murs ni d'horizon je n'arrive pas à savoir s'ils sont près ou loin; il n'y a pas d'arbres non plus, pas de sol, aucune montagne , pas de nuages... Au fond je suis de l'électricité en vadrouille.

Je me repose, il y a un bruit de ruisseau près de moi, entre deux flous et quelques variations de lumière, je vois un un petit garçon qui tire sur une branche. Il a peut-être deux ans, des cheveux dorés en boucles, une espèce de culotte bouffante à carreaux... une femme allongée sur de la mousse et un homme torse nu font une sorte de couple étrusque assis pour un banquet... L'enfant se démene comme un diable pour casser sa branche, il la plie jusqu'à terre . "Regarde... regarde...! " Il se retourne du côté des grands... Des images passent devant moi comme des feuilles mortes, à l'endroit, à l'envers... Je vois une fenêtre fermée avec un coeur découpé sur les volets gris... Il arrive que sous mes yeux marchent des petites jambes dans une terre qu'on vient de retourner, où les vers affolés repartent dans les mottes... Le chien s'appelle Klebs. Un papier tenu au bout d'un bâton s'envole par dessus le toit. Si je lève la tête, défilent à droite et à gauche des amandiers en fleurs, une roue de vélo tourne sous mes yeux , le pneu est orange et craque sur le gravillon. Je suis dans un avion, une dame vient voir. Ailleurs c'est la nuit et un bruit de moteur et des gens parlent fort et il y a des lumières vertes sur le devant. A côté d'un cabanon de bois, un seau et une pelle en caoutchouc épais sont à moitié dans le sable. Je ne vois rien de sombre. Il n'y a pas de vent. Un instant j'ai vu de la glace dans un baquet, sans bulles, transparente comme du verre. Je sens une drôle d'odeur, une odeur d'engrenages et de ressorts comme quand on met le nez dans une horloge. Je suis couché dans un lit bleu à barreaux de bois et je vois du feu à travers les micas d'un poêle. Un homme passe devant moi les jambes nues. Il quitte un grand lit ou quelqu'un dort. Je me trouve un réveil dans les mains, avec un cadran noir, une forme carrée, des cylindres chromés sur les côtés. L'homme chante une chanson : " C'était un fameux navire que le navire du forban! Au cabestan vire,vire, Vire vire au cabestan! Il avait cent lieues moins guère, de l'avant jusqu'à l'arrière, un mousse aurait mis cent ans, pour grimper dans ses haubans, pour grimper dans ses haubans....On a bien fait de l'occire, ce sacripan de navire...."

 
tetes de marionnettes chinoises-photo michel ducruet-2010
Ducruet.2010.© . Comedia.
 
 
 
 
 
 
 
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