LE CIEL EST VIEUX ...
 
 
rosier american pillar-photo michel ducruet-2010
2010.©.Ducruet.
 
 

Les nuages promènent de l'eau qui tourna des millions d'années autour de la Terre, servit aux baleines, étancha les soifs des fauves et de leurs proies, se glissa dans les artères et les coquilles d'oeufs, descendit réveiller les graines et remonta dans les feuilles... Des gouttes firent des rivières dans les sols, creusèrent des grottes et des sources jaillirent sous la mer ... Les vents se chargèrent d'humidité pour de nouveaux nuages et les devins très attentifs aux vols des oiseaux et aux signes du ciel virent se composer et se détruire les empires en levant les yeux. Les moissons et les amours se lièrent aux saisons. Les nymphes logées dans les fontaines, les eaux miraculeuses, les eaux bénites, lustrales, sacrificielles, les rosées du matin, les gelées blanches sont dans le sang et les larmes. L'eau circule depuis l'origine, confondant les choses et les êtres, noyant chagrins et plaisirs dans le cirque général, céleste, terrestre et sous-terraine, passant où se meuvent les esprits, les démons et les anges... Par d'infinis recommencements et d'infinis transports, le monde bouillonne à sa vitesse et nous ne tirons les marrons du feu que parce que nous sommes infimes, égocentrés, superficiels comme bouchons dans une mare, aveugles et sourds aux rythmes de première importance, occupés de nos allées et venues pour des riens, de nos guerres et de nos libidos... Nous nous suivons comme se suivent les feuilles et les fleurs aux branches, nous faisant un peu d'oxygène en bricolant des idées, des images et des mots. Sommes-nous si différents des bêtes qui sifflent, chantent, brament et grondent aux saisons d'amour? Nos dons sont plutôt du côté du mensonge. Nos illusions excessives nous chassent de toute Nature. Plus nous sommes fous et cruels plus nous jurons que nous sommes forts, intelligents, beaux, supérieurs et pleins d'avenir. Puis nous crachons en l'air, chions où cela nous chante, pissons nos erreurs sous les nuages et dans les fleuves, cherchant de l'or, construisant des ponts, faisant la nique au Destin....Mais nos chemins ne mènent qu'aux trous des sépultures où la pluie s'infiltre et dissout les os puis les porte jusqu'à la mer salée. Nous sommes de fer et de ciment, nos âmes depuis longtemps faussées, déboussolées, tordues de formules et vrillées de chiffres ne trouvent ni consolation ni légèreté. Nous sommes recuits de nos insupportables suffisances, perdus de désirs marchands et propriétaires, avortons de planète, fruits tombés et pourris sur le béton des villes.

"Plût aux dieux que je ne vécusse pas au milieu de la cinquième génération ! Que ne suis-je mort avant ! que ne puis-je naître après ! C'est l'âge de fer qui règne maintenant. Les hommes ne cesseront ni de travailler et de souffrir pendant le jour ni de se corrompre pendant la nuit ; les dieux leur enverront de terribles calamités. Toutefois quelques biens se mêleront à tant de maux. Jupiter détruira cette race d'hommes doués de la parole lorsque presque dès leur naissance leurs cheveux blanchiront. Le père ne sera plus uni à son fils, ni le fils à son père, ni l'hôte à son hôte, ni l'ami à son ami ; le frère, comme auparavant, ne sera plus chéri de son frère ; les enfants mépriseront la vieillesse de leurs parents. Les cruels ! ils les accableront d'injurieux reproches sans redouter la vengeance divine. Dans leur coupable brutalité, ils ne rendront pas à leurs pères les soins que leur enfance aura reçus : l'un ravagera la cité de l'autre ; on ne respectera ni la foi des serments, ni la justice, ni la vertu ; on honorera de préférence l'homme vicieux et insolent ; l'équité et la pudeur ne seront plus en usage ; le méchant outragera le mortel vertueux par des discours pleins d'astuce auxquels il joindra le parjure. L'Envie au visage odieux, ce monstre qui répand la calomnie et se réjouit du mal, poursuivra sans relâche les hommes infortunés. Alors, promptes à fuir la terre immense pour l'Olympe, la Pudeur et Némésis , enveloppant leurs corps gracieux de leurs robes blanches, s'envoleront vers les célestes tribus et abandonneront les humains ; il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorants, et leurs maux seront irrémédiables." Hésiode, les "Travaux et les jours". VIIIème siècle avant J.C.

 
 
jardin des plantes Nantes-photo michel ducruet-2010
2010.©.Ducruet.
 
 
 
 
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