LE ROI DES ANIMAUX .... | ||
Les bêtes n'aiment pas le désordre. Elles ont le goût des habitudes, ont de courtes enfances, des amours vouées à la reproduction et protègent leurs petits jusqu'à la mort. On se demande encore ce qui trottait dans la tête du Créateur quand il se lança le sixième jour dans la fabrication de l'homme. Ce bâtard qui mélange un peu d'esprit et de chair crève d'orgueil depuis qu'il sait casser des cailloux et prononcer quelques mots. On pourrait penser que tous ses efforts tendent à gagner des suppléments d'âme. La peur de la mort le met parfois sur le droit chemin, mais elle ne dure que le passage du danger ou le temps d'un ricanement. Dès que s'en vont les intempéries ce singe savant cherche de l'or, collectionne des bâtons pour imposer sa loi et renifle tous les culs qui passent à sa portée, sous prétexte de fusions avec l'ordre du Monde. Ses atouts ne sont pourtant que très secondaires, quelques centimètres de pénis, des glandes mammaires instables, des vagins inusables parfumés au hasard, des crânes chauves et des fesses plates, des ventres que les ceintures contiennent mal et surtout un appétit d'enfer pour ce qui brille ou attire les mouches : pépites dans les rivières, pierres dures qui laissent passer la lumière, perles dans les huîtres, chiffons qu'il pose sur son dos, miroirs où il se grime ... Il s'est fabriqué des millions d'outils à couper les têtes, éventrer les abdomens, tirer les passereaux et les lapins, étendre raides ses semblables... On le croit sanguinaire mais on a tort : ce qu'il aime, c'est le fumet des cadavres, la décomposition des viandes, la gazéïfication des intestins ouverts et le spectacle des petits vers qui travaillent au nettoyage des carcasses. Tels sont les champs de bataille sous les oriflammes. "Je ne veux pas voir ça" dit-il en ouvrant les yeux derrière ses doigts. L'odeur de la merde lui est aussi douce que le vent du large et dès que se vidangent les tuyaux du Bonheur, il se précipite là où se bousculent les mouches ... Il en met partout, la produit nuit et jour, se vante d'avoir accouché de la civilisation en creusant des égoûts. Il construit des Panthéons où dorment du sommeil éternel ceux qui flattèrent son ego en lui offrant des idées neuves. De temps en temps un malin en politique y dépose une rose, baisse les yeux d' un air pénétré sur de vieilles cendres et grimpe dans une limousine jusqu'à son coin de Paradis... Les vanités de l'homme sont inépuisables, ses désirs, il les vole... Il est répandu sur toute la terre, il a planté des épées dans tous les ventres. Il fauche la vie en vrac, tue pour voir, empaille et saigne... Ses meurtres le rendent intelligent, il progresse, s'invente des armes plus subtiles pour empoisonner les coléoptères, liquider les pucerons et les pauvres ... Il se donne à voir, se dénude, s'aime sous les lampions, encaisse les revenus de ses charmes, s'explique à lui-même , se promet des planètes, s'égosille de toutes les chansons qu'il chante, sermone, enseigne, s'achète de la gloire et se vend du luxe... Des marées de cuisses fraîches, de sourires éclatants, de regards malicieux, sortent de ses filets et de ses écrans, des milliards de dents blanches disent sa jouissance sur papier glacé. Il salive à flots, courbe ou détend l'échine, s'asperge d'eaux bénites et d'eaux de cologne, monte sur les planches pour offrir ses grâces.... Il s'étudie, se console, se venge... Sa furie, sa libido, c'est l'amour et l'admiration qu'il exige de toutes créatures.... Il a inventé Le Père, le Fils et le Saint-Esprit pour se faire voir et se faire pardonner, il s'est donné des prophètes pour des plaisirs éternels dans des jardins peuplés de fontaines et de vierges, il a instruit des fous pour qu'ils jurent que ses meurtres sont héroïques, plaisent au ciel et chassent les démons, que ses viols et ses incendies font triompher la Vérité... Il s'est écrit des livres de foi où l'on change l'eau en vin, où sont interdits le poireau, le rôti de porc et le steack de cheval.... Il ne dit du bien de ses semblables qu'après les avoir couchés sur ses champs de bataille. Il tue des baleines et des kangourous pour les donner en croquettes à ses chiens, il fait pondre ses poules dans des cages de fer minuscules, il injecte des antibiotiques, pesticides et résidus d'ordures dans la bouffe de ses poissons, empoisonne ses champs de fraises et ses ramasseurs de bananes, cancérise profusion de ses clients, monnaie ses soins, jure de retourner sur la Lune et propose aux culs bordés de nouilles des sauts dans l'espace pour quelques millions de dollars.... Telles sont les joies de sa compagnie, les fruits de ses amours et de ses amitiés... Ce primate assoiffé de tendresse et de reconnaissance paie le prix de ses mauvaises fréquentations au jardin d'Eden. Ses méninges, intermédiaires entre l'alpha et l'omega, lui font la vie dure. Pour dix minutes de lumières, mille ans d'enfer, des millions de vies écrabouillées, de mensonges, cruautés et terreurs ... Ses juges prononcent sur des chimères, ses chimères durent plus que ses empires... Ses milliers de satellites, ses myriades d'écrans et de livres, ses sonfidences sur l'oreiller, ses discours, ses phrases infinies, ses cosmétiques, ses perpétuelles communications et coups d'oeil, ne le soulageront pas d'un gramme : il devra rendre tout ce qu'il vole, payer tout ce qu'il emprunte. Quatre milliards d'hommes sont morts de la guerre depuis les origines, et meurent aussi les langues, les sociétés et les cultures, par massacres, assimilations, intégrations, refoulements, enfermements, esclavages, ethnocides, stérilisations, poisons ... vieillissements. Les bêtes ne sont pas si savantes.... Elle n'ont rien à dire en vers et en prose, ne calculent pas le poids du Bonheur, vivent à cent pour cent leur combinaison de gènes, assument leur précarité, supportent leurs imperfections... Elles aussi se dégradent au cours de la vie, perdent de l'os ou de la cervelle, récupèrent moins bien, cicatrisent plus lentement, voient moins clair... Certaines se laissent mourir car leur vieillesse est déjà leur mort. Pas un extra-terrestre ne rirait de leurs imperfections, mais l'anthropoïde à l'image de Dieu est, lui, une vacherie de la vie qui se moque du Monde... |
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