ETRE ENSEMBLE ...
 
 
 
troupeau de zèbres, zebras, photo michel ducruet, 2010
Ducruet.©.2010
 
 

Les insomniaques se posent des questions sous la Lune ... Comment dormir quand les corps n'obéissent pas au doigt et à l'oeil, qu'il faut péter ses crudités pour se sentir bien, se décoincer le cou de son oreiller, se gratter où ça démange, sortir de son nez les encombrements, râcler sa gorge et ne plus penser ? ...

Six à sept cent mille cadavres, c'est le nombre des français qui s'en vont chaque année d'ici-bas, passent une fois pour toutes la porte de sortie, après avoir tourné en rond autour du Soleil et de l'axe des pôles. Savent-ils seulement ce qui leur est arrivé ? Guère plus que tout ce qui meurt : les langues, les sociétés, les ehtnies, les cultures, les républiques, les empires, les étoiles et les galaxies... Certains ont pris le temps de se voir dans la glace, de suivre du regard leur décrépitude, de se désenchanter de leurs illusions...Jusqu'au dernier clapotis de leur cervelle... Les guerres font aussi partie des réjouissances sociales qui consistent à défaire le travail des amours, à liquider plus tard les foetus qu'on n'avait pas le courage d'éliminer... les gagnants de la guerre furent longtemps les vieux et les femmes, mais avec les progrès de la physique et de la biologie on peut imaginer que vers 2060 une grosse centaine de conflits auront fait 4 milliards de pertes humaines directes ou indirectes... Des cultures s'en iront comme des feuilles mortes, comme se sont retirés de la course les indiens de l'Amazonie qui furent des millions et restent cent mille...On parlait de "Civilisation Française" dans les années soixante du vingtième siècle. Depuis une génération la prose des sous-fifres de ministères et de médias souffle la trompette de la culture plurielle et du métissage, les alexandrins crachottent de l'identitaire, le prophète des onze mille vierges donne de la voix , on sort de l'école sans se retourner...

Votre affaire a commencé le jour de votre naissance, quand votre carcasse a choisi de résister à la mort. Vous aviez échappé à la destruction dans le ventre de votre mère. vous fûtes une réalité quand un certain spermatozoïde a fécondé un certain oeuf, les deux portés au hasard à l'endroit de la rencontre. Votre résistance a duré ce qu'a duré votre énergie, jusqu'à ce qu'ayant baissé les bras, vous étant soumis à plus fort, vous soyiez entré en agonie, puis éventuellement euthanasié en douceur jusqu'à l'extinction du feu qui liait votre cerveau à votre coeur et à vos poumons... Il est possible qu'on transplante un de vos organes sur un(e) inconnu(e), mais vous n'en saurez rien. Votre foie, vos reins, vos glandes, se démoliront en quelques minutes, vous aurez le crâne et le le ventre qui se rempliront d'une ordure infecte, votre coeur disparaîtra vers le sixième mois, votre squelette se désagrègera en quatre ou cinq ans, vous serez dissous en plusieurs siècles ou quelques années selon le climat ou la géologie...Vos dents surnageront encore quelques millénaires et votre parcours finira dans la vie éternelle des poussières que vous serez devenu(e), qui contiendra encore quelques bribes de votre ADN... Vous ne finirez pas d'un coup, c'est ce que dit la science... Mais l'au-delà de notre vie est une chose mystérieuse, certains cadavres ne dégénèrent pas, restent frais, sentent la violette, l'iris et le lys comme celui de Thérèse d'Avila, 180 ans après sa mort...

Votre sagesse devrait vous dire que votre vie et votre mort sont inséparables comme le recto-verso d'un poème sur le papier, que votre mort n'est qu'une péripétie du cycle vital, qu'il n'y a pas de vide entre la vie et la mort mais des transitions sous forme de virus ou de cristaux... Vous mourrez parce que vous êtes trop compliqué pour durer indéfiniment, parce que votre usure n'a pas d'autre issue que votre descendance, parce que trop de monde encombrerait la Terre et que votre espèce ne peut marcher que sur un lit de cadavres...Quand il y aura suffisamment de signes pour vous avertir, vous refuserez d'y croire, vous vous mettrez en colère, vous demanderez aux charlatans et aux gourous de vous sortir de là, vous tomberez dans la déprime et finalement, si vous avez des restes d'intuition et de lucidité vous accepterez d'en finir... Vous aurez peut-être votre "été de la Saint-Martin", une journée de pleine forme où vous plaisanterez et ferez des projets, comme fleurissent en masse au dernier printemps les vieux poiriers, mais juste avant votre entrée dans l'inconscience et le coma, l'arrêt presque paisible de votre corps, votre visage débarrassé des peines , le front en avant , les lèvres décrispées de mots amers, la confiance revenue ...

 

cf: "La Mort"

Louis-Vincent Thomas, PUF 1988

 
 
le lion et les zebres, photo michel ducruet,2010
Ducruet.©.2010
 
 
 
 
 
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