ODEUR DE SAINTETE ....
 
     
ruban bleu. photo michel ducruet.2009.
 
Ducruet. ©.2009. Normandie. Cimetière.
 
     
 

Les morts, c'est connu, n'ont que de bonnes manières. Débarrassés de courbatures, sinon de flatulences, peu remuants, peu bruyants, ils vivent d'une vie singulière près des clochers ou aux lisières. On les croit réduits en poussières, on a raison. Mais cette poussière est fine, elle passe partout, se mêle aux eaux et aux sables, se prend dans les racines, monte en surface, décolle avec le vent léger, se pose sur la rosée, se mêle aux conversations, tombe dans les assiettes et se laisse manger dans les salades. C'est un des sels de la Terre. Rien qu'en France près d'un milliard de carcasses se sont jointes à l'humus des forêts et des champs depuis trente siècles, mêlées aux cuissons, sèchées sur les jambons et passées dans des muscles et des fibres nerveuses un certain nombre de fois. Tels sont les secrets de nos racines, plus secrets que tous les codes génétiques, quasi impénétrables car subtils comme la quintessence des fleurs. Sommes-nous meilleurs ou plus forts que si nous étions nés sur des îles désertes ou débarqués au coeur de continents vierges?... Pas sûr. Disons seulement que certains sont un peu plus légers et d'autres un peu plus lourds. Il arrive de croiser des personnes dont la peau ne chatouille guère les narines et dont l'âme se montre peu. N'en déplaise aux enfants de Rousseau, les citoyens ont un corps, des volumes, dégagent de l'odeur autant que de l'esprit... Quelques molécules suffisent pour que des papillons en rut volent des kilomètres. Les hommes ont aussi le nez creux et c'est aux effluves qu'ils se retrouvent et se plaisent en bandes. Quand ils se battent, ils avouent honnêtement qu'ils ne peuvent pas se sentir. On voudrait naïvement que les méchants soient des pervers de la Raison. Cela n'explique qu'une petite partie de nos misères. Nous sommes émetteurs de particules et de radiations du fond des âges, qui nous éloignent et nous attirent. Nous ne contrôlons pas nos longueurs d'ondes. La Vertu sent le linge des armoires, la Passion a des odeurs de foutre. Nos paroles, notre grammaire, notre humour ou notre vinaigre tiennent dans le plus-que-parfait de nos ascendances et le passé simple de nos Histoires.

Il ne peut être sérieux que les hommes soient semblables, car trempés dans des potages différents, issus de générations de voleurs de poules, de lève-la-cuisse ou nés de lève-tôt et de mères-courage... Ainsi nous pouvons être sûrs que les serments ne servent qu'au mensonge , que l'amour proclamé du genre humain est une astuce de camelot, l'amour de Dieu un asticot sur l'hameçon. La Fraternité des hommes est aussi certaine que la science des astrologues quand ils tombent dans un puits. Il ne suffit pas de transpirer sous le même soleil, encore faut-il que les sueurs plaisent au nez des enfants de Caïn, que la fumée de leurs sacrifices détende l'atmosphère au lieu de l'empester. Car on sait qu'ils furent enfants de la haine et que dans la fosse, l'ancêtre tournait la face contre terre.

Au cas où par distraction, vous seriez encore fabricant de Bonheur, essayez la musique ou la poésie... Voyez en peinture, laissez patauger les obscènes dans leurs obsessions de vraisemblance, tous disciples de Saint Thomas qui ne pouvait voir qu'avec les mains. Sans surprise il n'y a pas d'amour, sans ignorance pas de désir, sans désert pas de rencontre... Nous sommes aussi terrestres que les bêtes, les plantes, les marais et les roches, si volontiers charognards et sentant les pieds dans nos chaussettes que pour faire la différence on disait jadis qu'au Paradis nous sommes en odeur de sainteté...

 
     
petit marbre sur dalle de granit. photo michel ducruet.2009
 
Ducruet. ©.2009. Normandie. Cimetière.
 
     
     
     
     
     
     
     
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