LES BÊTES PARLAIENT ....
 
 
chuchoter avec un cheval. photo michel ducruet. 2009
Ducruet..©.2009.
 
 

On dit qu'en ce temps-là, celui de Saturne, c'était l'âge d'or. Les hommes n'avaient qu'à tendre la main pour satisfaire leur gourmandise. Ils s'occupaient de contemplation. La Terre débordait de fleurs, de lait et de miel. Entre les hommes et les bêtes on se parlait souvent. Personne ne s'étonnait des différences.

Un jour cette paix disparut du Monde. Il y en a qui disent que ce fut à cause du Diable. Il aurait énervé les femmes et suggéré aux hommes d'autres plaisirs que le spectacle du soleil. Je n'en sais rien. Mais je connais quelques secrets tenus de génération en génération par des animaux intelligents qui parlent à qui les entend. Ce cheval descend d'une famille venue d'Asie à l'époque des Huns. Ce boeuf a des ancêtres du côté de la Dordogne. Un jour que je passais à côté d'eux, je leur ai demandé pour rire la permission de les prendre en photo. Une étrange lueur leur vint aux yeux puis à ma plus grande surprise ils se mirent à chuchoter des mots.... " Nous sommes de bons herbivores... nous n'ennuyons personne... la compagnie nous plaît... êtes-vous un ami?..." Je me sentis un frisson dans le dos... J'avais entendu bien des choses sur les bêtes, j'avais lu les aventures du Capitaine Corcoran, je leur faisais confiance. Je ne pris pas le temps de réfléchir. Je répondis que je les trouvais sympathiques et que je vivais à la campagne pour me défatiguer des gens. Le boeuf parlait peu, ruminait beaucoup. "Hmm... Hmm !". Le cheval était plus vif, remuait ses crins, ses lèvres et ses oreilles. " Nous savons presque tout ce qui se passe. Les oiseaux nous racontent des tas de choses. Une mouette m'a dit qu'il y a plus à manger près des villes qu'au bord de mer. Elle connait des Goëlands qui chassent les chats sur les toits du Havre. Il passe par ici des rats qui vont de ville en ville. Ils n'osent plus se cacher dans les cages d'escaliers parce que des chômeurs les attrappent et les font rôtir. Une oie qui remontait d'Afrique a vu des renards se promener sur les Champs-Elysées, elle m'a juré que les loups ne tarderaient pas à en faire autant. Mais ce sont les hirondelles les mieux informées..." J'ouvris de grands yeux, relevai les sourcils. "Voyez-vous, nous ne disons rien parce que nous sommes tristes. Les hommes sont de plus en plus nombreux. Ils font déborder toutes les poubelles. Il paraît que les albatros avalent par erreur des cartouches d'imprimantes et les dauphins des couches culottes... Ici les chiens sont mal élevés. En ville des enfants croient que les nouilles et les frites poussent en pleine terre, les grands portent des cagoules avec des trucs sur les oreilles, ils passent des heures à se dandiner comme des canards et se racontent des histoires qui tiennent dans des mouchoirs de poche. Il y a des odeurs bizarres . Avant-hier un type est passé en face avec un tracteur et des bonbonnes. Il s'est arrêté un moment, il était pâle et toussait d'une mauvaise toux. Quand il est parti j'ai vu des milliers de vers qui sortaient de terre et qui traversaient le chemin pour passer chez nous. Des taupes se sont sauvées en courant. Un lièvre s'est avancé de quelques mètres et a fait des bonds prodigieux. Les escargots crèvent en bordure. Il se passe des choses terribles dans les bâtiments que vous voyez derrière moi et qui sentent si mauvais. On élève des cochons à la bretonne. Des types les coincent dans des cages, les forcent à bouffer des merdes aux antibiotiques et les enculent avec des seringues... tous les trois mois des camions viennent les prendre et on en entend plus parler. Plus loin ils concentrent des poules sur des étagères en fer... une chauve-souris dit qu'elles vivent dans la pénombre et pondent sans arrêt, coincées sur 10 cm2 de ferraille... Qu'elles ne peuvent pas se retourner, que des types qui portent des masques leur coupent un morceau du bec pour éviter qu'elles se blessent entre voisines... Que tous les matins les types au masque passent ramasser les cadavres de celles qui ont crevé dans la nuit... Qu'elles avalent de force des farines qui sentent la viande pourrie et des granulés qui font changer la couleur des oeufs..." Le pauvre cheval reprit sa respiration. Le boeuf rumina un peu plus:" Hmmm... Hmmm ... Pour sûr que c'est vrai... J'en ai vu qui jouaient au foot avec les porcelets crevés..." 

Je baissais la tête. Les temps sont durs pour les âmes... Comment leur dire à ces deux là que nous déraillons depuis deux siècles, depuis qu'un salaud de Genève nous jura que nous étions bons de naissance, depuis qu'un salaud d'anglais nous promit le bonheur grâce aux progrès de l'égoïsme, qu'un taré de Républicain lança la conquête de l'Afrique pour faire oublier la perte de l'alsace, qu'une bande de paranos Moscovites fit table rase du passé, que des bateleurs en chemises foncées promirent aux cons qu'ils seraient forts et depuis que Dieu protège le Dollar et la Terre Promise sur les océans du monde... Finalement nous puons la merde, la crasse, le surnombre et le renfermé comme si dix millards de cervelles montées sur deux jambes n'étaient capables in fine que de camps de concentration et de chambres à gaz. Au Spitzberg on termine la construction d'une Arche pour les plantes. Sur Mars on mesure les quantités d'eau. Ailleurs les innocents croient encore que le Soleil est à tout le monde.

 
 
mémoire d'un boeuf... photo michel ducruet.
Ducruet..©.2006.
 
 
 
 
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