Nos raisons se mélangent à celles des autres, nos intérêts et nos désirs font de même et nous osons dire de cette bouillie que c'est la volonté de Dieu, la force du Destin ou le sens de l'Histoire... Notre peur de nous-mêmes n'a d'égale que notre aisance dans le mensonge. la Nature est une de ces inventions qui nous permettent de cacher qui nous sommes. Rien de plus risible que la farce contemporaine de "Protection de l'Environnement". Jadis, pour ne pas se sentir idiots, nos ancêtres apprirent à casser des cailloux en deux. Ils durent se gratter la tête pour les casser en quatre et doubler leur volume de cervelle pour en faire des grattoirs permettant les trépanations. La Terre fut longtemps immense : à deux, quatre ou mille pattes, il y avait de la place pour tout le monde...

Les Hommes, ayant caché leur sexe, signe d'obsessions, et porté le chapeau, signe de bonne volonté, quelques malins jouèrent aux génies, attrappèrent des visions et firent des rêves... certains volaient comme des hirondelles, d'autres tombaient dans les trous, quelques uns tranchaient la gorge à des voisins. Les plus énergiques de ces rêveurs, pressés de retrouver leurs ego nocturnes et de prolonger le jour les aventures de la nuit, prononcèrent de fabuleux discours aux innocents de leur voisinage... Le ciel, les volcans, les fleuves et les grosses bêtes se remplirent de divinités caractérielles, déesses-mères ou dieux vengeurs, qu'il fallut appaiser et honorer... On construisit des temples, des villes et des palais... Les travaux interminables exigeaient des chefs, des récompenses et des punitions... On promit à la foule qu'au dessus des nuages et dans le grand sommeil de la mort la vie serait démesurément allongée, les assiettes pleines et les jours tranquilles... Pour donner l'exemple, les puissants se rapprochèrent des dieux en s'installant sur les hauteurs, au milieu de l'encens et des fleurs, servis par des valets, protégés par des chiens et des hommes armés. L'Enfer, promis aux infidèles, trouvait son pendant dans les cachots des princes et les supplices du bourreau. Telle fut la "Volonté des dieux" tant que l'on crut à la Providence. En dépit des invasions, des pestes et des guerres, les femmes fécondes firent augmenter le nombre des humains et celui des rêves nocturnes... La concentration des entreprises divines en un seul Dieu porta les rois et les prêtres à des altitudes inconnues. Bref, les cervelles se gonflèrent un peu plus et les esprits remarquables durent admettre que Dieu parlait les Mathématiques plus souvent que le Latin, et considérer que l'homme, s'il était géomètre, faisait plus vite le tour de l'Olympe que la Terre celui du soleil. A force de tourner autour des choses, on souleva de nouveaux problèmes, les anges devinrent ceux du Progrès. L'Homme naît bon dit un orphelin de Genève recueilli par une dame de qualité, et dans la grande horloge de l'univers les ressorts de l'Humanité font avancer le Bien et le Beau... Ainsi furent lancées les locomotives et dressées les cheminées du Progrès, faiseuses de nuages réconfortants... Le Paradis s'approcha de la Terre et les mers devinrent de formidables réserves de poissons...