Monsieur, vous avez tort...un artiste est un travailleur comme les autres...L'art ne tombe pas du ciel... Vous rêvez dans votre coin , vous faites vos petites affaires mais vous n'êtes pas différent des femmes de ménage ou des informaticiens...Laissez tomber vos fantasmes romantiques...Ecoutez au moins ce que les sociologues ont à nous dire...Vous me faites rire avec vos deux rectangles de 20 centimètres, il en tiendrait douze sur un seul écran de home-cinéma ! Vous datez!...La peinture ? Tout juste bonne à illustrer les manuels de littérature des bacheliers qui ne savent pas lire !... C'est un tout petit marché... D'ailleurs ça ne s'enseigne pas... Ne laissez pas les gens devant un Ver Meer s'ils ont envie de cul et d'action...Mettez-vous à leur place... Vous auriez dû vous en rendre compte : personne ne veut se faire tout petit ... C'est le règne des individus-rois, ils veulent des émotions pour se gonfler dans la journée et de l'amnésie pour dormir en paix. S'il reste encore des artistes, ou des erzatz, c'est parce que les machines à sous ont d'énormes besoins de lumières et de bruits, que les artistes sont une main d'oeuvre payée à la tâche , corvéable et renouvelable. Des milliers de pauvres bougres passent tous les ans à la moulinette comme le faisaient les gladiateurs au Colisée. Ces troupeaux donnent l'illusion d'un monde plein et combattif . C'est tout ce qu'on leur demande... Et surtout ne parlez pas de culture... C'est un truc pour les vingt pour cent de la classe moyenne qui tournent comme des astéroïdes autour des institutions ... Si on arrive à les convaincre qu'ils sont moins cons que les autres, on se gagne vingt ans de présidences de la République et de ministères ...

Ce que vous dites est vrai mais vous n'allez pas au bout de votre pensée...Vous devriez dire que nous vivons sur d'interminables glissades technologiques. Que notre précipitation s'accélère. Que nous ne pouvons pas nous arrêter et que tous, qu'ils soient femme de ménage, informaticien, banquier ou cancérologue, rêvent de voir ensemble le plus beau coucher de soleil de tous les temps. Ce n'est plus un monde qui se lève. C'est un monde qui se couche. Restent les code-barrés qui turbinent pour ce système, l'habillent, le colorent et le font danser. Ils analysent des montagnes de données. Leurs ordinateurs tournent dans le marc de café pour tout savoir des secondes du dernier jour. Ils désossent et redésossent, analysent les demi-mots et les points-virgules, repiquent des brins d'herbe sur des moquettes, posent des moquettes entre les fleurs et trempent dans des complots imaginaires. Ces artistes-là méritent absolument le RMI et bien davantage encore... car ils résistent à la tentation du suicide et c'est une prouesse digne de la bonne santé de Jean-Pierre Gaillard... Il y a tant de créativité, de libération des egos qu'on peut aussi parler d'artistes à propos des enseignants, des magistrats, des prêtres, des psy, des élus, des banquiers, des trafiquants d'armes, de drogues et de culs, je veux dire des personnes responsables de leurs actes... Dans les coins vivent des fous qui préfèrent les matins du monde, s'agenouillent sur la rosée des jardins qu'ils ont cultivés, se moquent du calendrier, sont invulnérables aux chagrins. Ils s'occupent de sensations. On ne les croise pas dans le quartier des affaires, ils ne traînent pas leurs baskets sur des chemins ou des rues pavés de bonnes intentions. Ils ont toujours de la peine quand les bons élèves des bonnes écoles se rassemblent pour demander un Roi. Que peut-on faire? Il y avait un orchestre sur le Titanic, il y est encore...