L'AVENIR DES TOMATES ... (11) | ||
Ducruet.2008.©
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Quand ils se retournèrent la porte s'était refermée. Une fresque la recouvrait, un personnage à demi radiographié jetait sur le côté un oeil outremer. Ils marchaient sur un sol blanc translucide. Une forme verte s'y étalait sur quelques mètres. Ils étaient dans une boîte lumineuse vaste comme une église. Il ne se passait rien. La température était agréable, l'air ne sentait ni l'humidité ni quelque parfum que ce soit. Ils oublièrent au bout de quelques minutes qu'ils avaient faim et soif... Ils étaient reposés. Le temps passait sans repères. De minuscules variations de lumière les attiraient d'un côté et d'un autre. Ils se coulèrent peu à peu dans le bien-être, comme on s'endort en montagne... Ils eurent les yeux fermés sans s'en rendre compte, mais leurs globes oculaires remuaient. Ils rêvaient intensément. Ils s'étaient allongés sur une forme verte qui s'animait, faisait voir une circulation de sève, des veinules, des chairs organisées. Ce qui n'était qu'une image à deux dimensions mais le trompe l'oeil avait de la consistance. Ils ne bougeaient pas, leur étrange tapis se remuait de dilatations et de contractions, avait presque un relief, de très légères ondulations . S'il y avait eu quelques mesures de musique de film, un spectateur ordinaire aurait cru qu'ils finiraient comme des insectes sur une plante carnivore, collés, anesthésiés et digérés. Cela durait et leur mine tranquille, l'extraordinaire luminosité de la scène, la délicatesse des formes et des mouvements, tout au contraire, faisaient penser à des magies heureuses. Les yeux ouverts, ils auraient perçu que les visages peints vibraient aussi, comme remués par des montées d'air chaud, que les iris bleus de ces yeux laissaient aller bien des curiosités et des réflexions. Il se passait quelque chose d'indéfinissable et d'amical. Quand la "sieste" se fut terminée, David se rassit le premier, puis les deux autres. " J'ai l'impression d'avoir vécu cent ans et d'être refait à neuf... je sens mon corps et je vois net comme si j'avais dix ans ... " "Moi, dit Ali, j'ai rencontré quelqu'un qui m'a dessiné un mouton... Il avait à côté de lui un oiseau de fer... Il portait une écharpe de toile ... Le mouton dormait à côté d'une fleur et la fleur avait l'air très inquiète... Puis je me suis retouvé seul ... le soleil m'a réveillé." François ne disait rien, il regardait les deux autres en souriant, les sourcils un peu relevés, puis il se leva. Il fit quelques pas jusqu'à la fresque. " C'est bien ce que je pensais... Il y a de la vie là-dedans..." Il revint en arrière, fouilla dans son sac. Il avait emporté la longue-vue de son grand-père... puis il écarta suffisamment les jambes pour avoir de l'applomb, il prit son temps pour mettre au point sur le centre de l'oeil bleu, et examina soigneusement le point noir... quelque chose brillait à l'intérieur, gros comme une tête d'épingle... cette chose remuait de gauche à droite dans un va-et-vient régulier... François vit alors distinctement que cette chose s'arrêtait en face de lui, qu'elle tournait sur-elle même. Suivirent deux minuscules éclairs, puis le mouvement reprit comme s'il ne s'était rien passé. " Nous sommes observés ... Dites-moi, David, rien de neuf du côté du collier?" David ne répondit pas tout de suite. "Hmm...Je n'ai plus de musique ni de signaux... Il me semble qu'il est un peu plus chaud, mais c'est peut-être dû au fait que nous sommes sous abri... attendez... J'ai quand même senti que lorsqu'il grésillait , j'avais des espèces de fourmillements dans le corps, qu'ils avaient commencé par les pieds et que par étapes ils s'étaient déplacés jusque dans la nuque, sans gêne ni douleur. C'était comme une recharge de batteries, je me suis senti extraordinairement bien quand ils ont pris fin..." Ali tout en écoutant, regardait ailleurs. Il se mit à plat ventre sur le tapis vert, le menton sur les mains. A une distance de quelques mètres, un disque coloré sortit du sol. Les trois hommes respiraient à peine. La chose roulait lentement sur elle-même, fit un tour complet autour d'eux, s'immobilisa. Il y avait sur ce disque des têtes peintes aux couleurs vives, des têtes coupées entremêlées à l'endroit et à l'envers, qui les observaient en remuant de temps en temps les paupières... | l | |
Ducruet.2008.©
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