..Ducruet.2008.©
La Terre avait retrouvé le sourire.
Les derniers Führers n'avaient plus eu de prise sur quoi que ce soit, le système marchait tout seul, poussé sans relâche par les technologies nouvelles et la frénésie des chevaliers noirs qui contrôlaient toutes les industries par le biais de leurs cellules financières. Des mathématiciens du plus haut niveau y jouaient au mouvement perpétuel. Le premier cercle, exclusivement composé des clones du camarade Heydrich, avait perdu tout sens des réalités. Il ne s'occupait que de cérémonies secrètes et de diableries. Les camarades Heydrich étaient des obsédés de la pureté moléculaire, ils avaient hérité d'une formidable passion pour la biologie. Des sommes gigantesques furent englouties dans la réalisation de cerveaux prototypes aux Q.I. incroyables... On atteignait couramment les 230-240 avec ces modèles... Malheureusement ces prodiges de laboratoire étaient dénuées de tout sens moral et dès l'âge de dix ans, commençaient à dénigrer les chevaliers noirs , puis le Parti, se moquant ouvertement des intuitions géniales du Führer... Il fallut liquider cette production d'irrécupérables, procéder à des investissements plus lourds... Un cocktail génétique de la dernière chance avait misé sur des introductions de séquences extraites d'un oeuf de dinosaure trouvé dans le permafrost, quelques autres avaient été récupérées dans la tombe du Premier Empereur et d'autres encore à la banque de sperme des héros du Parti. Les sels nutritifs destinés aux nouvelles souches furent affinés à des degrés incroyables de pureté, des chimères de plantes et d'animaux génétiquement modifiés virent le jour dans des fermes secrètes. Pas une molécule qui n'ait été filtrée, aseptisée, analysée de près. On obtint des bébés extraordinaires, d'une qualité de peau incomparable, blonds comme les blés, naturellement parfumés, musclés dès la naissance... Leurs yeux s'ouvraient très tôt, gris comme ceux du Reichprotektor... Ils jouaient aux échecs à douze mois ou récitaient par coeur des chapîtres de Mein Kampf avec une voix si proche de celle du Führer que des personnels féminins du Haras National Socialiste tombèrent en syncope à l'heure des toilettes. Il semblait qu'on fût au Saint-Graal. Quatre spécimens mâles et femelles avaient été façonnés dans quatre laboratoires différents en prévision de l'anniversaire LXII du clone numéro 3 du Führer. Seuls quelques intimes du premier cercle avaient été mis dans la confidence...
On ne sut jamais pourquoi l'alchimie la plus colosale de tous les temps s'effondra d'un coup jusqu'aux racines infinitésimales de toutes les procédures. Le chaos d'un charnier sans limites avait suivi de quelques heures l'héroïsation d'un peuple au sommet de la Puissance. La fin de ce monde survint à l'acmé de sa perfection, au paroxysme de ses désirs, quand il semblait que sa divinisation n'était plus qu'une question de secondes....
La pirogue ayant été tirée sur la plage, trois hommes s'avançaient en regardant de tous les côtés. Ils tenaient leurs arcs à demi tendus, la flèche vers le bas. Ils ressemblaient de loin à des sauvages des vieux livres d'exploration, avec des masses de cheveux en boule, la peau brune et des mollets très en relief comme ceux des individus qui vivent en pleine nature. Ils n'étaient pas larges d'épaules et leur démarche sur le sable sec témoignait d'une souplesse remarquable . Ils n'enfonçaient pas. Sur les rochers leurs pieds très charnus s' appuyaient comme des coussins et de près on aurait vu qu'ils avaient une semelle de peau épaisse d'un doigt.. Personne n'était venu sur cette plage depuis trois siècles. Ils parlaient à voix basse.
