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       "François, 
        nous ne nous sommes pas trompés. Je ne connais pas ces paysages mais nous 
        avons suivi les bonnes étoiles. " Celui qui parlait devait avoir dans 
        les trente ans, portait à l'oreille une boucle d'or. Il avait au cou une 
        espèce de collier d'où partaient quelques grésillements et des petits 
        flashes de lumière bleue. Devant lui, son compagnon fit un signe bref. 
        Les trois explorateurs changèrent d'allure. Ils revinrent à leur embarcation. 
       
        Cette pirogue, qui de loin semblait primitive, était en réalité très bien 
        construite. Large de deux mètres et longue d'une quinzaine, elle était 
        pontée de planches régulières, avait deux écoutilles robustes fermées 
        par des taquets en métal. Son mât tenu par des chevilles épaisses, ne 
        dépassait pas les six mètres et deux balanciers à hauteur de flottaison 
        donnaient une impression de robustesse à la coque relevée aux extrémités. 
        Une membrure renforçait la proue. La poupe formait un début de spirale 
        qui se prolongeait à babord et tribord par une moulure épaisse formant 
        une sorte de bastingage. La voile écrue, ourlée d'oeillets, avait été 
        repliée sur le pont. Le troisième homme se saisit de quelques sacs, les 
        passant aux deux autres puis il s'assura soigneusement du mouillage. Il 
        tendit une corde et ils amarrèrent l'embarcation à l'arbre le plus proche 
        après avoir jeté à l'eau une sorte d'ancre à trois branches. 
       
        Ils ajustèrent les sacs sur leur dos et se passèrent une gourde où chacun 
        but quelques gorgées. "Messieurs, je suis de votre avis, c'est bien d'ici 
        que nous devons partir." L'homme reprit:" Tout correspond à la légende, 
        les trois petites montagnes du fond, les deux iles avec les rochers blancs... 
        Je ne connais pas les noms de ces plantes, mais elles ressemblent aux 
        dessins que votre grand-père, mon cher Ali, avait trouvé dans une grotte 
        de l'Ile des phoques. " Ali eut un léger sourire, lui revinrent en marchant 
        des images de son enfance, de cet arrière grand-père qui cinq fois par 
        jour, se tournait vers l'Est, sans trop savoir pourquoi, prononçait quelques 
        mots incompréhensibles, parfois se prosternait, se relevait les mains 
        ouvertes et disait en riant que c'était un truc contre le mal de dos... 
        " Vous savez, David, mon grand-père a emporté trop de secrets avec lui." 
        L'autre se retourna : " Il était comme tous les gens de cet âge, ils avaient 
        des larmes aux yeux sans raison, ils se taisaient sans motif, ils cachaient 
        des choses, oui.... ils cachaient des foules de choses..." " C'est vrai, 
        c'est vrai ... François penchait la tête au-dessus de ses pieds... Je 
        me rappelle que ma grand-mère n'aimait pas retourner chez ses parents, 
        qu'elle ne supportait plus les cauchemars et le bruit qu'ils faisaient 
        la nuit, les jurons qu'ils lâchaient dès qu'elle posait des questions 
        sur le passé." Il faisait beau. Ils avaient progressé sans peine dans 
        une végétation de pins et de chênes verts, tapissée d'herbes de type méditerranéen. 
        Des vignes sauvages pendaient aux branches et de temps à autre ils croisaient 
        un olivier. L'air léger sentait la lavande, il y avait du thym partout 
        et des bruyères. Les cigales faisaient un vacarme infernal, des papillons 
        volaient de haut en bas, toutes sortes d'oiseaux remuaient. "Je ne vois 
        pas de traces" dit François qui marchait en tête à l'affut de quelques 
        passages de quadrupèdes. Ils poursuivirent tout l'après-midi jusqu'au 
        bord d'un canyon, descendirent en rappel une falaise abrupte et posèrent 
        les pieds sur les rives d'une ruisseau tranquille. De temps en temps s'ouvraient 
        dans le rocher de larges cuvettes profondes de deux à trois mètres et 
        remplies d'une eau si pure qu'on distinguait chaque grain de sable du 
        fond et l'oeil brillant de dizaines de petits poissons à la robe tigrée. 
        Ils passèrent la nuit sur un replat de la roche et repartirent assez tard, 
        après avoir attendu le soleil. Le canyon s'étirait sur quelques kilomètres 
        et s'ouvrait sur une large clairière qui remontait en pente douce vers 
        le nord. Ils grimpaient sur le plateau quand Ali se pencha vers la droite, 
        fit un signe et s'approcha d'un rocher couvert de mousse. Il y avait de 
        curieuses petites fleurs, ouvertes comme des yeux, bordées de cils qui 
        se terminaient par une boule transparente. L'une d'elles s'était repliée 
        sur elle-même en serrant un moucheron. Ils restèrent un moment devant 
        ce spectacle puis se remirent en route lorsque François revint sur ses 
        pas, repoussant les fleurs sur le côté: " Vous devriez venir !" Ils se 
        turent et se penchèrent à nouveau. 
       
        [<---- ] La pointe à gauche suivie de quatre traits réguliers, C'était 
        bien un signe tracé pour être vu. Il montrait le Nord.  
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