L'AVENIR DES TOMATES ... (6)
     
bateaux, ships, papiers de couleur. verneusses.photo michel ducruet 2008
 
Ducruet.2008.©
 
     

"Ali, nous avons de la chance..." " Oui,vous pouvez le dire... J'avais des doutes sur ces histoires de génies, je pensais que ceux de la deuxième pirogue avaient raconté n'importe quoi pour avoir l'air de quelque chose..." François reprit:" Le voyage a eu lieu, les distances, les positions des étoiles étaient exactes... Ils ont bien tenu la mer pendant quatre mois et ils ont vraiment débarqué où nous avons laissé notre bateau. Je suis sûr que nous trouverons sans difficulté le coffre qu'ils ont enterré. En tout cas , nous sommes devant leur signature!..." David se rapprocha des deux autres et, après avoir examiné de près l'inscription, se releva, rajusta son collier et dit en promenant les yeux sur la cime des arbres : " Il faut que vous me disiez tout..."

"Nous l'aurions fait depuis longtemps, mais ce qui nous est arrivé est tellement incroyable que, vous connaissant, nous étions sûrs que vous nous prendriez pour des cinglés. Or nous étions certains que notre projet n'avait aucune chance d'aboutir sans vous ni votre récepteur à lumière froide. Alors voilà... Tout a commencé l'année de la grande sécheresse, peu après la mort de mes grands parents, quand j'ai emménagé chez eux. J'avais profité du sec pour creuser l'étang qui borde le jardin du grand-père. Au début je me suis servi du cheval de François et d'une pelle tractée, mais il glissait tout le temps et je suis revenu aux bonnes vieilles brouettes , à la bêche et à la pelle. Le grand-père avait tout ce qu'il faut d'outils, et sans me presser je sortais deux mètres cubes de vase dans la journée... Le plus difficile était de monter les brouettes pleines sur des planches assez étroites, mais François est venu me donner un coup de main et au bout de trois semaines, nous avions fait le plus gros du travail. Pour égaliser le fond, j'ai repris le cheval et passé un rouleau en le dirigeant du côté empierré où les bêtes viennent boire. Le dernier jour nous sommes allés prendre une bouteille à la cave. Je savais que le grand-père en gardait de bonnes dans le sable et sous des lits de fougères. Nous avons creusé un peu et nous sommes tombés sur un flacon qui portait une étiquette écrite à la main, presque complètement illisible... un liquide couleur de miel la remplissait, le bouchon avait l'air intact et le goulot était encapuchonné de cire... En cherchant un peu plus nous avons remonté une quinzaine de ces flacons aux étiquettes effacées et nous sortions quand en plongeant une dernière fois la main dans le sable, je suis tombé sur une espèce de bonbonne soigneusement bouchée qui, à ma grande surprise, était remplie de cahiers roulés en cylindres..." Ali se tut un moment comme s'il revivait la scène. " Et alors?" " Alors on a ouvert une bouteille pour voir, c'était un vieux rhum... J'ai été prendre deux petits verres et on ne s'est plus quitté de la soirée! " " On s'est tapé la bouteille jusqu'à cinq heures du matin... David je n'ais jamais rien bu de meilleur! Nous avons parlé toute la nuit, sans fatigue et les idées claires... Pas de migraine le lendemain, juste un peu sommeil! " François fit un clind'oeil: " Je crois bien qu'on en a planqué une dans le bateau..." "Bon, d'accord, et cette bonbonne?..." " Ah oui la bonbonne! - Ali fronça les sourcil, changea de ton... Figurez-vous que c'est à cause d'elle que nous sommes là, David... Il s'est passé des choses... Les vieux savaient, ils en ont rempli des centaines de pages... sur certaines il y vait des ratures énormes et des traces de larmes... C'est une histoire qu'ils ont vécue par hasard, une histoire que rien ne pouvait laisser imaginer, une histoire de folie à l'état pur...." "Au total nous avons sorti treize cahiers numérotés de A à M, remplis d'une écriture bizarre, d'un autre âge, comme celle qui est sous la vitrine de la chambre des morts, à la plume d'acier et à l'encre... Ce n'était pas de l'Esperantu, j'ai reconnu le patois de ma grand-mère, celui qu'elle m'apprenait tous les étés, qui ne se parle pas comme il s'écrit et qu'elle appelait " ma langue france" ou quelque chose comme ça, qui était si joli que je chantais les belles histoires qu'elle me racontait... Voyons, ah oui, ça revient, - Un agneau se désaltérait au bord d'une onde pure... Un loup survint à jeun qui cherchait aventure... là j'ai oublié la suite..." François avait une petite larme à l'oeil, puis il se reprit très vite:" Sur la couverture du premier on avait écrit "Histoire vraie de la deuxième pirogue" et je me rappelle le début:" Nous étions cinq frères, tous les cinq en bonne santé et nous avions résolu d'aller loin..." " Oui, dit Ali et après : " les vieux nous faisaient peur, ils juraient que peu de jours après avoir passé l'horizon, les navires tombaient dans un gouffre et qu'on ne revoyait plus jamais la lumière... Les femmes ne voulaient pas nous lâcher, la vieille Sarah répétait qu'à partir d'une certaine distance, on entendrait des cris d'enfants qui deviendraient si forts et si terribles que nous serions jetés à la mer et noyés... Elle racontait que des nuages roses étouffaient les équipages... Qu'on avait retrouvé sur une plage, crispés les uns sur les autres, des corps bleus qui s'étaient déchirés la face avec leurs ongles, impossibles à reconnaître...."

     
Photo michel ducruet 2008
 
Ducruet.2008.©
 
     
     
     
P.............HOME/PAGE-ACCUEIL..........@..........NEXT/SUIVANTE..........RETOUR
     

 
Statistiques web