Une
femme et un jeune garçon posent nus dans un intérieur à la fenêtre
ouverte. On voit un bout de ciel et les arrondis de trois arbres verts
moyens en haut et à gauche. La femme est assise dans une espèce de
fauteuil rouge violet qui rappelle les "crapauds" du second empire, le
garçon, d'une dizaine d'années, pose la main sur la cuisse de celle qui
pourait être sa mère. A droite ils se reflètent dans un miroir
circulaire dont on ne voit qu'une partie. Un vase bleu anthropomorphe,
deux bols et une statuette se pressent sur une table basse. Un chat
replié sur lui même profite de l'ombre de la table et nous observe lui
aussi. Le mobilier, les personnages, les accessoires se découpent et
glissent plus ou moins les uns dans les autres. Bien que le dispositif
s'organise en rythmes rapides et en contrastes permanents, la scène est
silencieuse et les personnes comme les objets semblent là pour un temps
indéfini. Ce mélange de vivacité et d'arrêt sur image donne
l'impression qu'il se passe quelque chose. La sensation du relief n'est
obtenue par aucune perspective, il n'y a pas de volumes "tournés",
seules des plages colorées plus ou moins vives et plus ou moins froides
se poussent en avant ou reculent les unes par rapport aux autres.
L'ensemble de ces aplats juxtaposés et des ornements de lignes ou de
détails développe un véritable volume dont les objets se détachent
comme s'ils venaient tout juste d'arriver. Les personnages sont à peine
immobiles, le temps d'une pose... Ce positionnement des personnes est
aussi celui des choses ou du chat, comme si le moindre des éléments de
cette image avait la même importance que les autres. On peut s'en
rendre compte en les cachant de la main et voir que les objets et les
détails sont là pour servir au rythme général et non à des fins
documentaires. Il se passe que les éléments de cette scène ne sont pas
au service du titre ou d'une belle femme, mais à celui du tableau et de
la Peinture en général. car nous n'avons affaire qu'à des apparences,
pour ne pas dire un simulacre de sujet.
L'histoire
de la peinture est bourrée de femmes nues, d'intérieurs
aristocratiques, marchands ou populaires, de fenêtres, de reflets, de
pianos, de costumes, de fleurs et de fruits etc... Cette convocation
permanente du bon côté des formes faisait dire à Pascal que rien n'est
plus idiot que la Peinture dans ses exercices d'imitations... Il se
trompait : le secret des peintres fut de jouer sur les apparences, pour
que l'essentiel puisse passer en douce. Pendant des siècles ils ont
tenu le public à l'écart de ces secrets. L'astuce la plus courante pour
vendre la peinture à des accapareurs de richesses consistait à lui
donner un air d'objets à confisquer, l'art étant ailleurs, dans
l'organisation mentale d'un espace à deux dimensions et dans le vertige
plus ou moins ressenti qu'il y a des apparences dans les apparences...
Mais avec la photo et le cinéma les peintres ne mettent plus de gants,
ils ne s'intéressent qu'à l'activité de peindre et les apparences quand
il en reste ne servent qu'à s'approcher du vide, seule réalité sur
laquelle nous avons toujours dansé...
Ce
tableau est trop récent. Il faut se méfier de la peinture fraîche...
C'était latent dans le dessin, la tête de la jeune femme concentre toute
l'activité, celle des couleurs et celle des formes. Le reste n'est que
reprise plus ou moins diluée. Cette féminité répandue torpille à sa
manière celle que proposent les photographes. Ici la mort n'est que le
revers lointain de la séduction et le temps de la séduction paraît être
celui de la civilisation. Le rappel des fatalités se fait par la
frontalité des personnages et des objets montrés. Il n'y a pas besoin
de faire obscène pour faire sérieux ... Les photographes et les amis du
grand marché sont au contraire les amis de la mort, leur temps c'est
celui d'un constat de décès, leur présent bifurque jour et nuit dans le
buiseness. Leurs femmes sont trop précises dans les lieux et les
instants, trop accompagnées de mots : la photographie fait trop de
choses, bouscule des fantômes, découvre des marchandises... Des
émotions y passent mais l'extrême précision du constat ne retient pas
l'obscénité de l' approche. Toujours plus près... Ce genre de contact
fixe nos appétits sans difficulté, qu'ils s'agisse de pizzas, de chair
fraîche, de mers tropicales ou de droits de l'homme... La Peinture est
partout ailleurs, car si tout se passe bien, nous allons avec elle
savoir que les choses et les êtres sont de plusieurs mondes, que
parfois nous ne sommes vrais qu'à côté de nos pompes... Qu' en matière
de merveilleux les vieilles fées sont plus généreuses que tous les
curés de la Terre...
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